Les stratèges conservateurs ont dû se rendre à l'évidence. L'offensive publicitaire qu'ils ont menée pendant plus d'un an contre Justin Trudeau a eu un effet quasi nul. Si cette méthode forte avait permis dans le passé de mettre à mal l'image de Stéphane Dion et de Michael Ignatieff dans l'esprit des gens, elle n'a guère réussi à miner le courant de sympathie dont jouit encore le jeune chef chez les Canadiens depuis qu'il a pris les rênes du Parti libéral en avril 2013.

Les apparatchiks du Parti conservateur ont récemment opté pour une autre stratégie dans l'espoir de renverser la tendance qui favorise les libéraux, en tête dans les sondages depuis 18 mois. Ils misent maintenant davantage sur une campagne positive pour briser l'élan de leurs adversaires. «C'est beaucoup mieux avec Harper», peut-on lire dans les plus récents envois du parti pour solliciter des dons. Les dernières publicités conservatrices mettent l'accent sur les qualités de gestionnaire de l'économie de Stephen Harper.

Mais les conservateurs s'apprêtent à abattre l'une de leurs plus importantes cartes dans leur stratégie visant à remporter un quatrième mandat de suite: offrir des baisses d'impôts aux contribuables. Le ministre des Finances, Joe Oliver, doit présenter une mise à jour économique et financière en novembre. Cette mise à jour prendra les allures d'un minibudget, car elle contiendra de nouvelles réductions d'impôts aux familles canadiennes maintenant que des surplus pointent à l'horizon. Selon les calculs de la Banque Toronto Dominion, les surplus cumulés pourraient atteindre les 71 milliards de dollars au cours des six prochaines années. Voilà un pactole que compte utiliser le gouvernement Harper à son avantage.

L'objectif des conservateurs à l'aube des élections fédérales de 2015 aura toujours été de prendre les moyens pour rétablir l'équilibre budgétaire à temps pour offrir une nouvelle ronde de baisses d'impôts avant que les Canadiens ne retournent aux urnes.

Les options envisagées vont du fractionnement du revenu pour les couples ayant des enfants de moins de 18 ans - une promesse faite en 2011, mais liée au retour à l'équilibre budgétaire - à une bonification de la prestation universelle pour la garde d'enfants (100$ par mois par enfant de moins de six ans), qui pourrait être élargie pour inclure les enfants de 12 ans et moins. «On va utiliser les surplus pour baisser les taxes et les impôts de l'ensemble des Canadiens. On va s'assurer que la cagnotte soit utilisée pour donner du répit aux contribuables», affirme-t-on dans les rangs conservateurs.

Les intentions libérales

Même si les intentions des libéraux de Justin Trudeau demeurent vagues à 12 mois des prochaines élections, ils entretiennent des ambitions qui auront un coût: de nouveaux investissements pour retaper les infrastructures, soutenir l'éducation postsecondaire et encourager l'innovation des entreprises. Comment vont-ils financer leurs promesses? Ils proposent notamment d'annuler les baisses d'impôts «idéologiques» des conservateurs. Le fractionnement du revenu, qui favoriserait les contribuables les mieux nantis, serait aboli.

Les libéraux songent donc à faire campagne en promettant d'annuler des baisses d'impôts offertes six mois plus tôt par les conservateurs. «Je viens de gagner mes élections dans ma circonscription. J'adore l'idée de faire campagne contre les libéraux qui promettent d'augmenter les impôts», a confié à La Presse un député conservateur du sud de l'Ontario, région que convoitent les libéraux pour reprendre le pouvoir à Ottawa.

S'ils comptent annuler les baisses d'impôts «idéologiques», les libéraux n'ont pas l'intention de toucher au taux d'imposition des entreprises, qui a également été réduit de façon importante par le gouvernement Harper au cours des dernières années.

Les NPD et le fardeau fiscal

Flairant «le piège à ours» tendu par les conservateurs, le NPD a pris les moyens de le contourner de manière habile. Thomas Mulcair est catégorique: le NPD ne touchera pas au fardeau fiscal des contribuables s'il prend le pouvoir. Mais le taux d'imposition des entreprises, lui, sera ramené à un niveau moyen des pays de l'OCDE.

En somme, le NPD ne touchera pas au fardeau fiscal des contribuables ordinaires, qui ont le droit de voter durant les élections fédérales. Mais les entreprises, qui n'ont pas voix au chapitre dans l'isoloir, passeront à la caisse pour financer des promesses telles qu'un réseau national de garderies subventionnées.

«De toute évidence, les libéraux n'ont pas vu le piège des conservateurs. Ils sont trop aveuglés par leur avance dans les sondages», a laissé tomber un stratège néo-démocrate.

Si les libéraux devaient trébucher avant de franchir le fil d'arrivée, le soir des élections du 19 octobre 2015, ça pourrait bien ne pas être à cause des millions de dollars qu'auront dépensés les conservateurs en publicité négative, mais bien parce qu'ils auront volontairement mis les pieds dans un «piège à ours».