«À 100 miles nautiques du sommet du monde!» Le commentaire a été publié sur Twitter hier par Pêches et Océans Canada.

Se frayant lentement un chemin dans la mer glacée, deux brise-glaces canadiens, le NGCC Louis S. St-Laurent et le NGCC Terry Fox, s'approchent en effet du pôle Nord. Partis de Terre-Neuve 

le 8 août dernier pour une mission de six semaines, ils atteindront leur but seulement «si les conditions de glace le permettent», a averti le gouvernement canadien.

Commandée directement par Stephen Harper, cette expédition sera suivie d'une autre semblable, l'an prochain. Coût total des deux missions: 35 millions de dollars. Objectif: démontrer scientifiquement que le pôle Nord est canadien, un pari audacieux qui pourrait être perdu d'avance, selon certains spécialistes.

«Tout indique que le pôle est danois. Il n'est pas impossible qu'il soit russe. Mais il n'est certainement pas canadien», tranche Michael Byers, professeur de politique et de droit international à l'Université de la Colombie-Britannique, qui a écrit le livre Who Owns the Arctic? (À qui appartient l'Arctique?).

M. Byers n'est pas tendre envers la mission canadienne déployée actuellement, qu'il qualifie «d'écran de fumée politique».

«M. Harper a fait de grandes promesses sur l'Arctique, comme d'y construire un port, qu'il n'a jamais tenues. La mission est une distraction pour les faire oublier. Elle permet au premier ministre de poursuivre sa rhétorique et de perpétuer son image de grand défenseur de la souveraineté canadienne en Arctique», dit-il.

«M. Harper sait très bien que ses réclamations vont échouer. Mais il sait aussi très bien qu'il ne sera plus en poste lorsque son échec deviendra apparent», ajoute M. Byers.

Le ministère des Affaires étrangères, vers qui les demandes des médias sur la mission en Arctique sont dirigées, a affirmé à La Presse que personne n'était disponible pour discuter de l'expédition, malgré notre échéancier d'une semaine.

Mais tous les experts ne sont pas  aussi critiques envers la mission canadienne. Évaluer les prétentions de chaque pays en Arctique est un exercice complexe qui fait intervenir autant des arguments de géologie sous-marine que de droit international. Les États-Unis, le Danemark, la Russie, la Norvège et le Canada ont tous des prétentions dans la région, souvent sur des territoires qui se recoupent. L'enjeu est de taille lorsqu'on sait que l'Arctique pourrait abriter jusqu'à 40% de toutes les ressources énergétiques qui restent à découvrir sur la planète.

Pour gagner cette bataille, c'est sous l'eau que les différents pays cherchent des arguments. Par défaut, chaque pays a un droit exclusif sur les ressources sous-marines se trouvant dans une zone de 200 miles marins (370 kilomètres) des côtes. Mais ces droits peuvent être étendus si un pays démontre que son plateau continental, géologiquement, s'étend au-delà de cette limite.

Équipés d'instruments à la fine pointe de la technologie, les équipages du Louis S. St-Laurent et du Terry Fox cherchent donc actuellement à cartographier le fond marin sous le pôle Nord pour montrer qu'il est une extension du plateau continental canadien. Ils remontent aussi des échantillons du sous-sol à la surface avec l'espoir qu'ils soient formés du même type de roche que le plateau canadien.

Jérémy Drisch, spécialiste de l'Arctique et doctorant à l'Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, estime que la mission canadienne «a le mérite d'apporter des éléments de réponse à la connaissance géomorphologique de ces zones».

«Il est difficile de se prononcer sur la légitimité de la demande canadienne au pôle Nord parce que peu de données scientifiques sont disponibles», explique-t-il.

Le pôle Nord se trouve à proximité de la dorsale de Lomonosov, une chaîne de montagnes sous-marine revendiquée à la fois par le Canada, le Danemark et la Russie. Chacun prétend qu'elle représente une extension de son continent. Et géologiquement parlant, il se pourrait que chacun ait raison. Si cela s'avère, un tribunal international devrait y tracer les frontières.

Or, l'expert Michael Byers, de l'Université de la Colombie-Britannique, fait remarquer que le pôle Nord se trouve du côté danois de la dorsale. Et si on trace une ligne exactement entre les côtes du Groenland et du Canada, une méthode juridique souvent utilisée pour délimiter les frontières, le pôle Nord tombe aussi du côté danois.

«Qu'on le veuille ou non, le pôle Nord tombe du côté danois. Il ne sera jamais canadien», martèle l'expert.

Dans une entrevue à La Presse Canadienne, Robert Huebert, professeur au département de sciences politiques à l'Université de Calgary, estime néanmoins que le gouvernement canadien fait bien de tout tenter pour rafler le plus grand territoire possible en Arctique.

«Pourquoi ne devrions-nous pas? Croyez-vous que quelqu'un d'autre va nous donner un passe-droit? Nous ne savons pas quels types de ressources se trouvent là-bas», soutient-il.