Un nombre important de témoins qui comparaissent cette semaine devant le comité parlementaire de la justice demandent à Ottawa d'amender le projet de loi C-36 pour que les prostituées et les travailleurs du sexe ne soient plus considérés comme des criminels.

Ce comité de la Chambre des communes a entamé hier une étude intensive de quatre jours sur ce projet de loi, qui modifie les règles criminelles sur la prostitution. Une demi-douzaine de groupes, dont le gouvernement du Manitoba et l'Alliance évangélique du Canada, ont demandé au gouvernement de retirer les dispositions qui criminalisent l'offre de services sexuels.

«J'ai de sérieuses préoccupations à l'égard des dispositions du projet de loi C-36 qui traiteraient les victimes d'exploitation sexuelle comme des criminels», a déclaré le ministre de la Justice du Manitoba, Andrew Swan.

Ces dispositions isoleraient  les prostituées, a-t-il ajouté, ce qui les mettrait en danger et pourrait menacer la constitutionnalité du projet de loi.

D'autres appels semblables suivront: une dizaine de groupes qui témoigneront au cours de la semaine donnera une conférence de presse demain sur la colline parlementaire. «Tous les groupes disent que c'est un bon projet de loi; les objectifs sont les bons. Par contre, la criminalisation des femmes doit disparaître», a précisé Diane Matte, porte-parole de l'un de ces groupes, la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle.

Ces groupes réclament en outre plus que les 20 millions de dollars en cinq ans promis par Ottawa pour venir en aide aux personnes qui souhaitent sortir de la prostitution.

Le ministre de la Justice s'est déjà dit disposé à faire des amendements, mais il n'a pas précisé lesquels.

«Le modèle Pickton»

La réforme des règles sur la prostitution a été rendue nécessaire par l'arrêt de la Cour suprême du Canada, qui, dans l'affaire Bedford, a donné au gouvernement jusqu'à la fin de 2014 pour revoir certaines dispositions clés du Code criminel.

Le gouvernement Harper a présenté en juin son projet de loi, qui repose en bonne partie sur la criminalisation de l'achat de services sexuels. Mais il a maintenu la criminalisation de l'offre de services sexuels dans certaines circonstances, notamment dans des lieux où des mineurs pourraient se trouver.

Plusieurs autres témoins ont dénoncé le projet de loi et affirmé qu'il ne passerait pas le test des tribunaux, car le fait de traiter les clients comme des criminels maintient l'état de clandestinité des prostitués et compromet leur sécurité. «Le projet de loi C-36 va continuer de permettre à des prédateurs violents comme Robert Pickton de s'attaquer à des travailleurs du sexe qui ont été repoussés vers des aires moins publiques de la ville», a même déclaré Jean McDonald, directrice de Maggie's, un groupe d'aide aux travailleuses du sexe de Toronto.

«C'est pourquoi plusieurs surnomment le projet de loi C-36 "le modèle Pickton".»

«Constitutionnelle»

Le ministre fédéral de la Justice, Peter MacKay, a défendu sa réforme et affirmé qu'elle est bel et bien constitutionnelle. Il a dit néanmoins s'attendre à ce qu'elle soit contestée devant les tribunaux. Plusieurs groupes ont déjà signalé leur intention de le faire rapidement après son adoption.

«La possibilité que le projet de loi soit contesté est très réelle, a déclaré M. MacKay, mais je crois que cette législation est constitutionnelle. C'est une bonne loi et une bonne politique publique, qui aidera à protéger les personnes vulnérables.»

John Lowman, criminologue à l'Université Simon Fraser, a émis des doutes à cet égard. «C'est le même gouvernement qui a fait valoir que les règles invalidées dans l'affaire Bedford passaient le test de la constitutionnalité. Et le gouvernement avait complètement tort.»

Plusieurs témoins ainsi que les partis de l'opposition ont demandé au gouvernement de soumettre le projet de loi à la Cour suprême pour qu'elle se prononce sur sa légalité, mais le ministre de la Justice a refusé.