Un récent discours livré à Washington lors duquel le ministre canadien des Affaires étrangères John Baird a demandé des développements rapides dans le dossier de l'oléoduc Keystone XL semble avoir provoqué beaucoup d'anxiété à Ottawa.

Des recherches frôlant la panique, afin de clarifier une fois pour toutes ce que le ministre avait bel et bien déclaré, ont éventuellement créé une chaîne de courriels impliquant pas moins de 17 fonctionnaires.

La source de toute cette inquiétude est venue d'une seule phrase dans l'allocution du ministre fédéral, dans laquelle M. Baird laisse sous-entendre que même un rejet rapide du projet serait mieux que l'incertitude qui perdure et la lenteur des développements entourant ce projet, maintes fois repoussé.

La plupart des organisations de presse - autant canadiennes qu'américaines - ayant couvert le discours de janvier dernier se sont arrêtées sur cette remarque susceptible de faire la manchette. Et ce fut aussi le cas, il appert, de plusieurs adeptes du projet Keystone XL au sein du gouvernement.

Des courriels obtenus par La Presse Canadienne en vertu de la Loi sur l'accès à l'information illustrent une sensation de panique au sommet même de la machine gouvernementale: le Bureau du Conseil privé (BCP), l'administration centrale du gouvernement qui dessert le premier ministre et son cabinet.

Dans une série de courriels identifiés sous le qualificatif «Urgent», un officiel a demandé des preuves documentées que M. Baird avait vraiment prononcé la citation qui lui était attribuée.

«J'ai besoin de cette citation - besoin de savoir quand il l'a dite», mentionne un message d'un analyste principal du BCP. «J'en ai besoin au plus tard à 8 h 30 (a.m.), s'il vous plaît.»

Les 17 personnes ayant participé à la chaîne de courriels provenaient de divers ministères, à Ottawa et à l'ambassade du Canada à Washington. La chasse aux propos de M. Baird se serait étendue jusqu'au lendemain, même si son discours avait été présenté en direct par des réseaux de télévision au Canada.

L'allocution avait aussi été couverte par de nombreuses organisations de presse, intérieures et internationales, et une transcription avait été fournie aux journalistes et également affichée dans le site internet du ministère des Affaires étrangères.

«S'il-vous plaît, me la transférer AVQP (aussi vite que possible - ASAP), tel que demandé hier», mentionnait un autre courriel du BCP, le matin suivant le discours.

«(J'en ai) besoin aussi rapidement que vous puissiez l'obtenir.»

Le responsable semblait particulièrement inquiet que M. Baird avait dit, plus particulièrement, qu'un «non» à Keystone serait préférable à un silence. Voici, en fait, ce qu'il a dit devant la Chambre de commerce des États-Unis, le 16 janvier:

«À l'approche de la saison de la construction, je ne voudrais pas qu'un seul travailleur reste inoccupé à la maison, alors qu'on pourrait frapper à sa porte pour lui annoncer »j'ai un formidable emploi pour toi«.

«Donc, s'il y a un message que je vais promouvoir durant ce voyage, c'est le message suivant : il est temps d'aller de l'avant avec le projet Keystone. Et j'ajouterais même, il est maintenant temps de prendre une décision concernant Keystone, même si cette décision n'est pas la bonne.»

La chaîne de courriels qui a circulé en janvier laisse croire que la fonction publique a déployé de considérables efforts pour venir en aide au BCP.

«Plusieurs personnes s'affairent à votre demande», a répondu un employé du ministère des Affaires étrangères. «Malheureusement, ça prend plus de temps que ça le devrait.»

Un diplomate a demandé si un dossier audio était nécessaire, en plus de la transcription, parce que «les gens travaillent vraiment fort là-dessus.»

Pour des raisons que la chaîne de courriels ne clarifie pas, la panique s'est éventuellement apaisée.

«Nous sommes toujours intéressés à la voir (la citation), mais à ce stade-ci, vous pouvez réduire l'urgence», a écrit le représentant du BCP. «Plus tard en journée sera correct, personne ne devrait sauter une pause-café pour cela.»

En fin de compte, le gouvernement canadien n'a pas obtenu ce qu'il voulait. Plus tard pendant le périple de M. Baird, le ministre s'est présenté à un lutrin en compagnie de son homologue américain John Kerry, et le secrétaire d'État a expliqué qu'il prendrait son temps pour scruter la montagne de commentaires qu'avait générés la consultation publique au sujet de Keystone.

Treize semaines plus tard, le gouvernement des États-Unis suspendait la procédure d'approbation, pas seulement à cause de la réaction du public, mais aussi parce qu'un litige devant un tribunal au Nebraska avait placé le projet d'oléoduc dans un cul-de-sac.

Pendant ce temps, les commentaires de M. Baird à l'effet qu'une réponse serait préférable, même si ce n'est pas la bonne, semblent avoir disparu du discours officiel du gouvernement canadien.

Interrogé cette semaine à savoir si le gouvernement fédéral croyait toujours qu'un rejet rapide était préférable à une approbation tardive, un porte-parole de M. Baird a offert la réponse suivante, dans un courriel : «Notre gouvernement sait que Keystone XL crééra des emplois et une croissance économique de deux côtés de la frontière tout en augmentant la sécurité énergétique nord-américaine».

«Le département d'État des États-Unis a déterminé, en plusieurs occasions, qu'il sera écologiquement sain, et nous avons confiance que l'administration Obama prendra la bonne décision.»