Le gouvernement conservateur a imposé jeudi un bâillon sur le projet de loi portant sur la prostitution.

Le projet de loi C-36 vient à peine d'être déposé que les conservateurs veulent déjà que son étude se fasse en accéléré.

Majoritaires aux Communes, ils n'ont eu aucune difficulté à faire adopter le bâillon, par un compte de 147 contre 90. La deuxième lecture du projet de loi sera donc limitée à cinq heures.

Les conservateurs multiplient les bâillons aux Communes pour restreindre le temps de débat sur de nombreux projets de loi.

Alors que normalement l'opposition se plaint de ne pas avoir le temps de s'exprimer sur les différentes mesures législatives présentées, cette fois-ci, la députée néo-démocrate Françoise Boivin croit que les conservateurs ont aussi un autre objectif: faire taire leurs propres députés qui sont contre C-36.

Des dispositions du Code criminel sur la prostitution ont été invalidées par la Cour suprême du Canada en décembre dernier. La Cour a toutefois suspendu l'annulation des articles pour un an, histoire de laisser le temps au gouvernement de légiférer s'il le désirait.

La Cour a statué dans l'arrêt Bedford que lesdits articles contrevenaient à la Charte des droits et libertés car ils mettaient en danger la vie et la sécurité des travailleuses du sexe.

Le projet de loi C-36 est la réponse du gouvernement: il a choisi de criminaliser les clients et les proxénètes. Et, dans certains cas, les prostituées, si elles offrent leurs services dans des endroits publics où des mineurs peuvent se trouver.

Interrogé au Parlement jeudi, le ministre de la Justice, Peter MacKay, a justifié le bâillon en indiquant qu'il était essentiel d'agir promptement pour s'assurer que la loi soit en place avant l'expiration du délai d'un an.

«On veut être sûrs d'être bien et vraiment prêts pour avoir la législation en place bien avant décembre», a dit le ministre.

D'attendre à l'automne pour étudier C-36 aurait été risqué, suggère-t-il. «On a un ordre du jour législatif très chargé», a-t-il dit.

Les députés siégeant au comité de la justice s'attendent à devoir étudier le projet de loi cet été, même si le Parlement est en congé.

De nombreuses critiques ont fusé contre le projet de loi sur la prostitution, certains experts le jugeant inconstitutionnel et craignant qu'il ne mette aussi en danger la vie des travailleuses du sexe en les poussant à exercer leur métier dans des coins sombres et dangereux.

Il s'agit aussi d'un durcissement du Code criminel.

Alors que la prostitution n'était pas illégale au Canada - mais seulement certaines activités qui l'encadraient - l'achat de services sexuels est devenu un acte criminel avec C-36. La sollicitation demeure dans certains cas illégale et une nouvelle infraction criminelle a été ajoutée, soit celle de faire la publicité des services sexuels.

Et jeudi, le Parti libéral a fait connaître sa position sur C-36: il s'y oppose.

«Nous nous inquiétons sérieusement que cette loi ne respecte pas la Charte canadienne des droits et libertés et qu'elle ne cadre pas avec les opinions exprimées par la Cour suprême du Canada dans le jugement Bedford», est-il écrit dans un communiqué.

Les libéraux disent craindre que le projet de loi n'assure pas de manière adéquate la santé et la sécurité des personnes vulnérables, notamment des femmes.

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) a demandé au gouvernement de consulter la Cour suprême du Canada sur la validité de C-36. Ottawa s'y refuse.