L'occupation double de cellules, qui devait être une mesure temporaire, pourrait subsister malgré l'agrandissement des pénitenciers, conclut le vérificateur général du Canada dans son dernier rapport. Malgré tout, le gouvernement a remisé ses plans très discrets de construire cinq nouveaux établissements à travers le pays.

> Le rapport complet du vérificateur général (web)

Dans la brique de neuf chapitres, le vérificateur Michael Ferguson soulève plusieurs exemples de planification ou d'exécution déficientes par le gouvernement, et ce, dans divers secteurs, dont les régimes de retraite du secteur public ou l'impartition des services de gestion d'immeubles fédéraux.

Les conclusions qui touchent aux pénitenciers sont parmi les plus accablantes. M. Ferguson note que les 2700 cellules qui seront ajoutées dans les établissements d'ici l'an prochain en réponse au durcissement de la justice pénale par le gouvernement Harper risquent de ne pas répondre à la demande dès 2019.

Or, il note que selon le Service correctionnel du Canada (SCC) lui-même a convenu que « la double occupation des cellules  avait de lourdes conséquences, notamment une hausse des tensions, des agressions et des actes de violence ». Il ajoute que la surpopulation carcérale peut nuire à la réinsertion sociale des délinquants, parce qu'il y a moins de cellules disponibles dans les ailes à sécurité minimale, notamment.

Selon M. Ferguson, la SCC a misé sur une planification à court terme, plutôt qu'une vision à long terme. Par exemple, l'organisme a planifié la construction de nouvelles cellules en fonction des terrains disponibles, sans tenir compte du fait que certaines régions comme l'Ontario ou les Prairies verraient une plus grande augmentation de leur population de détenus, ou encore de l'état de décrépitude de certains établissements. 

Appréhendant une hausse massive de nouveaux détenus en raison de la réforme de la « loi et l'ordre » du gouvernement Harper en 2009, la SCC s'était aussi vue accorder une « approbation de principe » de 960 millions de dollars pour construire cinq nouveaux pénitenciers. 

Mais en 2012, l'organisme chargé de superviser les détenus fédéraux a révisé à la baisse ses prévisions de population carcérale et « remis une somme de 1,48 milliard $ qui lui avait été accordée expressément pour financer la construction de nouvelles installations et leur exploitation », a écrit Michael Ferguson.

À la même période, Ottawa a annoncé la fermeture des établissements de Leclerc à Laval, et Kingston en Ontario. Il prévoyait des économies de l'ordre de 120 millions $ par année. Elles ont été surévaluées et seraient plutôt d'environ 86 millions $.

Régimes de retraite risqués

La gestion des pénitenciers n'est pas le seul domaine dans lequel le vérificateur général a relevé une planification du gouvernement qui laisse à désirer. C'est le cas aussi des régimes de retraite des employés du secteur public, et des risques liés à des facteurs comme le vieillissement de la population et les taux d'intérêt peu élevés sur les obligations de l'appareil fédéral.

« Le promoteur des régimes ne se penche pas sur la viabilité des régimes », a mis en garde le vérificateur.

Pourtant, a-t-il ajouté, « les régimes de retraite du secteur public pourraient représenter des risques pour la situation financière du gouvernement ». Par exemple, ses obligations augmenteraient de 4,2 milliards de dollars (3%) si l'espérance de vie des participants était prolongée d'une seule année. 

Le vérificateur a recommandé de mener des évaluations périodiques sur les régimes de retraite et de clarifier le rôle de chacun des organismes fédéraux impliqués dans l'administration de ces régimes.

Gestion d'immeubles mal surveillée

Michael Ferguson s'est aussi penché sur le contrat de 5,9 milliards $ pour la gestion des immeubles fédéraux, accordé en 2005 à une filiale de SNC-Lavalin. Ce contrat arrive à échéance l'an prochain.

Le vérificateur a conclu que les mécanismes de surveillance de la qualité des services rendus par SNC-Lavalin O&M (anciennement SNC Profac) étaient adéquats, mais que la surveillance elle-même laissait à désirer.

Il a aussi noté que « dans presque tous les dossiers que nous avons examinés, il y avait un manque d'éléments pertinents et suffisants pour indiquer la nature et l'étendue des travaux réalisés et d'étayer les conclusions des examinateurs ». 

Les problèmes relevés sont particulièrement présents dans les immeubles loués par le ministère des Travaux publics (l'entité du gouvernement chargée de l'approvisionnement et de l'entretien) et dans ceux des autres ministères, comparativement à ceux qui appartiennent au ministère lui-même.

Rappelons qu'au terme de reportages de La Presse et de vérifications externes qui en ont découlé, la compagnie a dû rembourser plusieurs dizaines de milliers de dollars aux contribuables pour des travaux facturés en trop. Le ministère des Travaux publics et l'entreprise montréalaise refusent toujours de dévoiler le montant exact de ces remboursements. 

« L'audit n'avait pas pour but de déterminer si les obligations retenues avaient été respectées », a précisé le rapport. « Nous n'avons pas non plus audité les dossiers ni les pratiques du fournisseur de services. »

Autres vérifications

Michael Ferguson a relevé des problèmes dans d'autres secteurs, dont le contrat de « réinstallation intégrée de 2009 », qui consiste à payer pour le déménagement d'employés fédéraux. Des irrégularités dans un contrat de plusieurs millions de dollars accordé en 2004 avaient été soulignées par la vérificatrice générale Sheila Fraser dans un rapport en 2006.

Cette fois-ci, le vérificateur a noté qu'une série de décisions prises lors de l'octroi du nouveau contrat en 2009 n'avait pas « facilité ni encouragé la concurrence ». Une seule entreprise a déposé une soumission. Mais « aucun élément probant ne nous permettrait de croire que les responsables avaient agi intentionnellement », a-t-il ajouté.

M. Ferguson a aussi scruté deux programmes destinés aux communautés des Premières nations et du Nord canadien : celui des services de police et CanNor. Le premier est mal conçu, il ne répond pas aux objectifs de la Politique sur la police des Premières nations et ses orientations futures devraient être revues, a-t-il conclu. Par exemple, le programme doit servir de complément aux services de police offerts par la province. Mais ils finissent souvent par « remplacer les services de base ».

Quant à l'Agence économique de développement économique du Nord (CanNor), une agence créée en 2009 pour stimuler le développement économique du Nord canadien, le vérificateur estime que la surveillance des bénéficiaires de fonds, de même que le suivi des ententes et le sort des sommes versées ne sont pas menés adéquatement. Le budget de CanNor est de 52 millions $; près du quart est affecté à des paiements de transfert visant à promouvoir le développement économique de la région.