Banni de Russie lundi avec 12 autres parlementaires canadiens, Irwin Cotler a affirmé avoir été empoisonné lors de sa dernière visite à Moscou, en 2006.

M. Cotler, ex-ministre de la Justice et député libéral de Mont-Royal, n'avait jamais relaté cette affaire publiquement, n'ayant pas de preuve formelle.

L'événement s'est déroulé en 2006, lors d'une visite de parlementaires canadiens à Moscou.

«J'ai mangé dans un restaurant avec le député [néo-démocrate] Joe Caumartin, a-t-il dit à La Presse hier soir. Nous avons mangé exactement la même chose.

«Après le repas, je suis allé visiter des amis à Moscou et j'ai commencé à me sentir mal. Je me suis rendu à mon hôtel, et là j'ai été malade comme jamais dans ma vie. Je me suis mis à vomir du sang. J'ai appelé les responsables de l'hôtel, mais ils étaient surtout intéressés à nettoyer le sang, comme pour qu'il ne reste plus de preuve. J'ai dû appeler l'ambassade canadienne pour avoir un médecin.

«J'ai été traité dans un hôpital de Moscou. Les médecins m'ont dit que j'avais été empoisonné, mais pas plus que ça, ils parlaient russe...»

«Je ne crois pas que c'était pour me tuer, je crois qu'ils voulaient m'intimider et me faire taire», dit Cotler.

À la même époque, un ancien agent des services secrets russes, Alexandre Litvinenko, est mort à Londres quelques jours après avoir rencontré des émissaires russes.

Litvinenko avait été empoisonné avec une substance radioactive très rare, le polonium 210. Les policiers britanniques n'ont jamais réussi à obtenir la collaboration des autorités russes pour poursuivre leur enquête.

Le cas du juge Wildhaber

Puis, en février 2007, le Guardian de Londres a rapporté que le premier président de la Cour européenne des droits de l'homme, le juge suisse Luzius Wildhaber, s'était également dit victime d'un empoisonnement.

«J'ai étudié en droit avec Wildhaber à Yale en 1966, cette affaire m'a frappé», note Cotler.

Le juge Wildhaber avait déclenché la colère des Russes pour avoir dénoncé les violations massives des droits de la personne en Tchétchénie.

Le magistrat avait notamment refusé l'extradition de 13 Tchétchènes recherchés en Russie pour terrorisme, et qui s'étaient réfugiés en Géorgie.

Un journal de Zurich avait rapporté que l'ambassadeur russe au Conseil de l'Europe s'était présenté dans le bureau du juge Wildhaber en 2002, déclarant que si ces individus n'étaient pas extradés, la Russie tiendrait la Cour responsable de la tuerie et de la prise d'otage dans un théâtre de Moscou, ce que le juge avait considéré comme du chantage.

Toujours est-il que quatre ans après cet incident, en 2006, Wildhaber, qui assistait à un colloque de droit constitutionnel, s'est rendu au pénitencier Vladimir (là où a été détenu Raoul Wallenberg notamment). Dès son retour en Suisse, il a été extrêmement malade. Selon ce que rapportait le Guardian, il avait subi un empoisonnement sanguin sévère et était à l'article de la mort quand l'ambulance est venue le chercher. Il a dû prendre un mois de congé de maladie.

Apprenant ce qui était arrivé à Litvinenko par la suite, Widlhaber a appelé la clinique pour faire analyser son sang, pour détecter du polonium (ce qui ne se fait évidemment pas de manière routinière). Le temps ayant passé, les échantillons avaient été détruits.

Le juge suisse a fait ces déclarations en prenant sa retraite, fin janvier 2007.

La Russie avait ridiculisé cette hypothèse, soulignant qu'il n'existait aucune preuve. La Cour elle-même avait dit que rien ne permettait de déterminer une source suspecte à l'empoisonnement du magistrat.

Défenseur des droits

Avant d'être député, Irwin Cotler était professeur de droit de la personne à McGill et était impliqué dans toutes les grandes affaires de l'époque, en Russie comme en Argentine ou en Afrique du Sud.

En 1979, Cotler avait été expulsé de l'Union soviétique, où il défendait Natan Sharansky, un scientifique et dissident russe envoyé au goulag pour «trahison».

«J'ai été banni à vie de l'URSS! Mais en 1988 [Sharansky avait été libéré et le régime se libéralisait], une importante conférence internationale se tenait à Moscou. Plusieurs experts étaient partis de Helsinki pour y participer et tous ont obtenu un visa, sauf moi. Robert Bernstein [avocat américain du dissident Sakharov] a dit aux Russes que personne n'irait si on ne me donnait pas de visa. Nous sommes entrés. Même chose en 1989, où j'ai été le seul refusé sur une délégation de 500 avocats. Le gouvernement canadien a protesté et je suis entré.

«Après l'incident de 2006, je ne suis jamais retourné en Russie. En 2010, j'ai été invité pour une grande conférence interparlementaire sur l'antisémitisme qui se tenait à Moscou. J'ai dit au responsable russe qu'à ma dernière visite, j'avais été empoisonné. Il m'a dit: "C'était une erreur, M. Cotler, ça ne se reproduira pas!" Ma femme était d'avis que je ne m'y rende pas...»

S'il est banni aujourd'hui, en même temps que 12 autres parlementaires, Irwin Cotler croit que ce n'est pas à cause des sanctions économiques canadiennes.

«Je pense que c'est bien davantage à cause de mon implication dans le dossier Sergei Magnitski.»

Magnitski est un comptable russe qui avait dénoncé une vaste fraude fiscale par des dirigeants russes. Il a été emprisonné près d'un an sans procès, torturé, et est mort en détention en novembre 2009.

Cotler a parlé très souvent de cette affaire et a même présenté un projet de loi au Parlement à Ottawa pour identifier les responsables de cette mort et du camouflage qui a suivi.

Pourquoi parler de l'empoisonnement maintenant? «Ça m'est revenu en mémoire cette semaine, car je me rends à Boston jeudi pour le 90e anniversaire de Robert Bernstein», a dit le député hier soir à La Presse.