L'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) vient de débloquer un budget spécial pour faire venir au Canada une délégation du ministère de l'Intérieur de la République démocratique du Congo (RDC) chargée de rapatrier en Afrique une trentaine de Congolais dont le Canada veut se débarrasser, a appris La Presse. L'initiative inquiète certains défenseurs des droits de l'homme.

L'ASFC refuse toute entrevue de vive voix à ce sujet. Dans un courriel, sa porte-parole affirme qu'elle ne peut «discuter des négociations en cours avec des pays particuliers», mais que les voyages de représentants étrangers peuvent s'avérer rentables s'ils permettent de renvoyer des personnes qui coûtent cher en frais de santé, de détention ou de services sociaux.

Selon nos sources, l'ASFC devrait effectivement économiser gros grâce à cette initiative. Une trentaine de ressortissants de la RDC sont actuellement visés par une mesure de renvoi du Canada, mais demeurent bloqués au Canada parce qu'ils ne détiennent pas de passeport.

Certains doivent demeurer détenus, car ils sont considérés comme à risque, et ils coûtent autour de 250$ par jour au trésor public. Ceux qui sont en liberté surveillée engendrent aussi une foule de dépenses.

Coût de 30 000 $

Pour une raison inexpliquée, l'ambassade de la RDC ne leur a pas délivré de document de voyage. Mais les autorités congolaises ont fait miroiter au Canada que si des représentants de leur ministère de l'Intérieur étaient invités au pays pour rencontrer leurs ressortissants, elles pourraient certainement leur trouver un passeport.

Le voyage des quatre représentants congolais devrait coûter autour de 30 000$, selon ce qu'a appris La Presse. Ils devraient voyager avec des passeports diplomatiques et être accompagnés de représentants de l'ASFC pendant leur séjour.

Or, les autorités canadiennes considèrent elles-mêmes que les forces de sécurité de la RDC chapeautées par le ministère de l'Intérieur sont souvent responsables d'atteintes graves aux droits de la personne. Des fonctionnaires congolais qui souhaitaient immigrer au Canada ont vu leur dossier refusé pour complicité avec des exactions commises dans leur pays.

L'invitation de cette délégation fait donc sourciller certains défenseurs des droits de la personne.

«De façon générale, la torture et les morts en détention sont des qualificatifs qu'on rattache au ministère de l'Intérieur et aux forces de sécurité de RDC-Congo. Notre attitude serait plutôt de craindre pour cette trentaine de personnes, sans vous dire nécessairement qu'on s'opposerait à leur départ», observe Anne Sainte-Marie, porte-parole de la section québécoise d'Amnistie internationale.

 Une ligne à ne pas franchir

L'avocat Stéphane Handfield, ancien commissaire à l'immigration, s'explique mal la démarche.

«Je comprends que l'Agence veut faire preuve d'imagination pour expulser des individus, mais là, je trouve qu'il y a une ligne à ne pas franchir. Je trouve préoccupant qu'on fasse venir à même les fonds des contribuables une délégation d'un pays cité par de nombreux organismes de défense des droits de la personne comme un endroit où les droits ne sont pas respectés.

«Je ne vois pas ce que ces gens pourront faire que l'ambassade congolaise ne peut pas faire», indique l'avocat, qui a souvent représenté des immigrants congolais.

«Il semble qu'il y a une contradiction, puisque dans plusieurs cas, le Canada a prétendu que les gens qui ont travaillé au sein du gouvernement congolais ne pouvaient être admis au Canada», ajoute Janet Dench, porte-parole du Conseil canadien pour les réfugiés.