Le premier ministre Stephen Harper a quitté une capitale canadienne plongée dans le froid hivernal, laissant derrière lui des mauvais sondages et un gouvernement appelé à être davantage critiqué pour sa gestion du scandale des dépenses du Sénat.

Il est arrivé sous un soleil brillant pour sa première visite au Moyen-Orient, où il a été accueilli par des Israéliens en liesse, recevant du même coup un traitement digne de celui d'une vedette du rock, traitement auquel il a rarement droit au pays.

Les effets à long terme de la visite de M. Harper dans cette région complexe risquent d'être peu nombreux, eu égard aux profonds conflits déchirant cette partie du monde. Au Canada, cependant, le chef conservateur devrait obtenir un coup de pouce politique - et peut-être même jusqu'aux prochaines élections fédérales, en 2015.

Pendant son séjour, M. Harper a multiplié les oeillades à sa base électorale en réaffirmant son appui indéfectible à Israël, mais s'en est tout de même majoritairement tenu à la politique étrangère canadienne, affirment des observateurs.

Malgré son point de vue résolument pro-israélien et son refus de critiquer publiquement l'État hébreu durant son séjour au Moyen-Orient, M. Harper a également effectué une visite constructive en Cisjordanie et en Jordanie, où il a annoncé du financement supplémentaire.

«La rhétorique et le symbolisme du voyage ont tous deux envoyé le message fort voulant que le Canada est un puissant et inflexible allié d'Israël», a déclaré Fen Hampson, directeur du programme de sécurité mondiale au Centre for International Governance Innovation à Waterloo, en Ontario.

«Mais la politique officielle du Canada, particulièrement lorsqu'il est question de la légalité des colonies, de la Cisjordanie et du Plateau du Golan, n'a pas changé d'une miette. Ce voyage ne passe pas très bien chez les musulmans canadiens, mais ceux-ci ne forment pas la base électorale de M. Harper.»

Le premier ministre a conclu sa visite vendredi en surfant sur ce qui était sûrement un moment très fort sur le plan émotif.

En Israël, il a été acclamé au mur des Lamentations par une foule qui a scandé son nom et a tenté de lui serrer la main.

Il a également été célébré à plusieurs reprises par le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et d'autres responsables israéliens comme étant un homme de courage et d'honneur.

En Jordanie, M. Harper a partagé la table du roi Abdallah II, où ce dernier a parlé de lui comme d'un «frère», et l'a félicité pour l'aide apportée à ce pays aux prises avec un important afflux de réfugiés syriens.

Même les Palestiniens se sont montrés sympathiques, malgré les fortes positions pro-israéliennes du premier ministre. L'annonce de 66 millions de dollars en aide humanitaire aux Palestiniens a été ultimement bien accueillie.

«Le Canada est un pays souverain et peut adopter la position qu'il désire», a lancé, diplomate, Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinien. «Nous espérons que les choses changeront à l'avenir.»

Certains laissent cependant entendre que M. Harper aurait pu mettre en danger une relation internationale autrement plus importante - celle avec les États-Unis - en refusant de répéter les condamnations écrites de son gouvernement à propos des colonies israéliennes, et en continuant de vilipender l'Iran.

Le secrétaire d'État américain John Kerry dirige actuellement un important plan de négociations de paix entre Israël et la Palestine. Les États-Unis sont également très impliqués dans les efforts occidentaux visant à circonscrire le programme nucléaire iranien.

«C'est en fait une chose négative pour les relations canado-américaines, qui sont bien plus importantes que la relation avec Israël», soutient Ferry de Kerckhove, un ancien ambassadeur canadien en Égypte.

Garder le silence sur les colonies ne facilitera pas la tâche de M. Kerry lorsque celui-ci confrontera les tenants de la ligne dure du cabinet du premier ministre Nétanyahou lors des négociations, laisse entendre l'ex-diplomate.

Les recommandations de M. Kerry au président américain Barack Obama seront également essentielles lorsqu'il sera question d'approuver ou non l'oléoduc Keystone XL, rappelle M. de Kerkhove.

«Sur les plans stratégique, moral, et sur la question de la rationalité, c'est le mauvais cheval depuis le début.»

Le porte-parole néo-démocrate en matière d'affaires étrangères Paul Dewar croit quant à lui que M. Harper aurait dû inviter des membres de l'opposition à faire partie de la délégation de près de 200 personnes qui l'ont accompagné, dont plusieurs ministres et députés.

Après tout, note M. Dewar, M. Harper a invité d'anciens premiers ministres libéraux et le chef néo-démocrate Thomas Mulcair à bord de son avion en direction de l'Afrique du Sud pour les funérailles de Nelson Mandela, le mois dernier.

«C'était surtout une question de se positionner politiquement, et pas nécessairement un enjeu diplomatique, dit M. Dewar. Les gens qui se sont retrouvés à bord de l'avion étaient des amis du Parti conservateur du Canada.»

MM. Dewar et de Kerckhove félicitent toutefois le premier ministre pour ses passages en Jordanie et à Ramallah.

Le voyage de M. Harper soulève également des questions à propos de la possibilité qu'il ait mis de l'avant - peut-être même de façon négative - le profil du Canada dans le cadre du conflit régional en exprimant trop d'affection envers Israël.

D'autres croient plutôt que l'«Arabe ordinaire» de l'endroit aura tôt fait d'oublier le passage du premier ministre canadien, si tant est qu'il eût été remarqué.

«Cela n'aura pas un grand impact puisque nous ne sommes pas un joueur important dans cette région, dit M. Hampson. La notion voulant que la position canadienne du ''négociateur honnête'' soit profondément compromise est de la fiction partisane. Nous ne l'avons jamais été et nous ne le serons jamais.»