D'abord, ce fut la marijuana; cette fois, il est question de prostitution.

Les libéraux fédéraux ont fait figure de pionniers, lors de leur plus récent conseil national, devenant le premier parti fédéral à appuyer la légalisation, la réglementation et la taxation de la marijuana.

Certains militants du PLC veulent maintenant que le parti adopte la même approche libérale face aux travailleuses du sexe.

Des militants de Colombie-Britannique proposent une résolution, pour le prochain congrès national du Parti libéral du Canada, qui prévoirait que les travailleuses du sexe puissent légalement conduire des affaires «rentables et sécuritaires», et faire en sorte de protéger employés, employeurs et clients, en plus de taxer ces services comme «n'importe quelle autre entreprise».

La résolution a été initiée l'an dernier par l'aile jeunesse du PLC de Colombie-Britannique, et a été adoptée ensuite par l'aile provinciale du parti dans la liste des 10 résolutions prioritaires qu'elle voudrait voir débattues au congrès national, le mois prochain à Montréal.

Il n'est pas certain que la résolution fasse ultimement l'objet d'un vote sur le parquet du congrès, mais elle sera à tout le moins débattue en atelier. Il sera cependant intéressant de voir comment elle sera accueillie par les militants libéraux, depuis que la Cour suprême a invalidé le mois dernier la loi canadienne sur la prostitution - un développement que les auteurs de la résolution n'avaient pas prévu.

Le plus haut tribunal a déterminé que l'interdiction des maisons closes, de la sollicitation de rue et du fait de vivre des fruits de la prostitution impose des conditions dangereuses aux prostituées, et viole ainsi leurs droits à la vie, à la liberté et à la sécurité. La Cour suprême a accordé un an au Parlement pour adopter une nouvelle loi qui respecterait la Charte des droits et libertés.

Mais illustrant à quel point une telle décision serait risquée politiquement, le ministre fédéral de la Justice, Peter MacKay, n'a pas tardé à profiter de l'existence même de cette résolution pour accuser les libéraux de vouloir compromettre la sécurité des Canadiens.

«Je ne crois pas que ce soit la bonne chose à faire pour le gouvernement de faciliter un accès accru aux drogues et au commerce du sexe pour les Canadiens - particulièrement pas pour nos citoyens les plus vulnérables, nos enfants», a dit M. MacKay par communiqué.

Le gouvernement du premier ministre Stephen Harper avait déjà signifié sa volonté de s'assurer que la prostitution demeure régie par les lois criminelles, possiblement en adoptant un modèle en place dans les pays nordiques, qui prévoit des sanctions contre les clients plutôt que contre les prostituées.

«Il s'agit d'un modèle sur lequel nous nous penchons», a confirmé mercredi M. MacKay.

Le chef du PLC, Justin Trudeau, n'a pas encore précisé ses vues sur la question, et les jeunes libéraux de la Colombie-Britannique espèrent que les débats sur la résolution le mois prochain l'aideront à forger son opinion.

«Je crois qu'il est bon pour nous de continuer à être audacieux», a dit Justin Kaiser, président des Jeunes Libéraux de la Colombie-Britannique, lors de l'adoption de la résolution, et désormais candidat à la présidence nationale des Jeunes du PLC. «Je crois que les jeunes libéraux ont toujours poussé le parti à faire preuve d'audace.»

Effectivement, le soutien officiel du PLC au mariage entre personnes de même sexe et à la légalisation de la marijuana peut être attribué à la pression exercée par les jeunes libéraux.

M. Trudeau, qui avait d'abord favorisé l'approche plus restreinte de décriminalisation de la marijuana, a éventuellement embrassé la position officielle du parti sur la question, et, en tant que chef, s'est fait un grand défenseur de la légalisation.

Et certains de ses arguments en ce sens - soit que la guerre contre les drogues a échoué et a contribué à constituer un marché criminel souterrain - pourraient tout autant s'appliquer à la guerre contre la prostitution, comme le fait valoir la résolution.

Néanmoins, la prostitution est un enjeu qui polarise davantage que celui de la marijuana, suscitant des questions sur la moralité et l'exploitation des femmes. Et il pourrait ainsi représenter un risque politique beaucoup plus grand pour M. Trudeau que l'appui à la légalisation de la marijuana, qui lui doit déjà des attaques des conservateurs sur son manque de fermeté à l'égard de la loi et l'ordre.

La méfiance du chef libéral sur la prostitution - il n'a encore rien dit sur la décision de la Cour suprême - donne une indication claire sur sa propre évaluation des risques. Son bureau a joué de prudence en réponse à la résolution des libéraux en Colombie-Britannique.

«Ce que la Cour suprême a dit à l'unanimité est que nos lois n'en font pas assez pour protéger certaines des personnes les plus vulnérables de notre société», a affirmé la porte-parole de M. Trudeau, Kate Purchase, dans un courriel. «Ultimement, le gouvernement doit répondre de manière à prendre en compte tant la sécurité de la communauté que la sécurité et la santé de tous ceux impliqués dans le commerce du sexe.»