Des groupes de francophones ont fait valoir mercredi devant la Cour suprême du Canada que l'abolition du Sénat causerait du tort aux minorités linguistiques, au deuxième jour de l'audition du renvoi historique sur la Chambre haute.

Pour la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA), le Sénat joue un rôle incomparable.

«C'est la seule institution dans notre Parlement actuel qui est chargé de représenter, de faire entendre la voix des communautés linguistiques en situation minoritaire», a déclaré en entrevue la présidente de la FCFA, Marie-France Kenny, dans l'enceinte de la Cour.

«Totalement, on est totalement contre l'abolition du Sénat», a-t-elle martelé.

Selon l'avocat de la Fédération, Sébastien Grammond, qui a plaidé mercredi matin, l'unanimité des provinces est requise pour abolir la Chambre haute. Une position qui aide au maintien du Sénat, vu la difficulté évidente d'obtenir le consentement de tous.

Et pour Me Grammond, il y a une longue tradition au pays de nommer des francophones pour siéger à la Chambre haute.

Ainsi, l'élection des sénateurs porterait un dur coup aux groupes minoritaires, puisque les francophones auraient de la difficulté à faire élire un des leurs, a-t-il expliqué aux huit juges de la Cour.

«Nos communautés sont éparpillées un peu partout au pays. On n'a pas un poids démographique suffisant pour faire élire un francophone dans la plupart de nos communautés», a renchéri de son côté Mme Kenny.

Et il n'y a peut-être pas de garanties écrites dans la Constitution de nominations de francophones à la Chambre haute, «mais il y a des précédents historiques», rappelle Mme Kenny, qui souligne que la vaste majorité des premiers ministres ont mis des francophones en poste.

Division Est-Ouest

Mercredi, le gouvernement fédéral a aussi reçu l'appui des provinces de l'Ouest, ce qui démontre que le pays est divisé sur la façon de modifier ou de se débarrasser de la Chambre haute.

La Colombie-Britannique, la Saskatchewan et l'Alberta sont d'avis, comme le fédéral, que le Sénat peut être aboli avec l'accord d'une majorité des provinces.

La position tranche avec la position du Québec qui estime que l'unanimité des provinces est requise pour rayer de la carte la Chambre haute.

L'Île-du-Prince Édouard et Terre-Neuve, qui ont plaidé mercredi, se sont rangées du côté du Québec sur cet aspect, comme l'Ontario, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse la veille.

Le gouvernement Harper veut limiter le mandat des sénateurs à neuf ans et tenir des élections sénatoriales - pour les provinces qui souhaiteraient en organiser. Pour accomplir ces objectifs, il avait déposé un projet de loi en 2011, depuis mort au feuilleton. Ottawa demande tout de même à la Cour suprême comment il pourrait mettre en oeuvre ces changements, et veut aussi savoir s'il peut abolir le Sénat.

Et alors que la plupart des provinces sont d'avis que l'accord d'un minimum de sept provinces, représentant au moins 50% de la population, est requis pour modifier le Sénat, la Saskatchewan a fait valoir que le fédéral peut agir seul pour limiter la durée du mandat des sénateurs - du moment qu'il demeure supérieur à 10 ans - et pour la tenue d'élections.

«Cela n'est pas un changement fondamental (à la charge de sénateur) et cela ne requiert donc pas d'amendement constitutionnel», a résumé après l'audition l'avocat de la Saskatchewan, Graham Mitchell. Parce que ces élections n'auraient pour but que de consulter la population, sans lier le premier ministre qui pourrait encore choisir à sa guise.

Me Mitchell a remarqué que les trois provinces de l'Ouest ont une position similaire sur la façon de modifier et d'abolir le Sénat - ce qui donne un coup de pouce au fédéral.

«C'est très intéressant, a-t-il commenté. Mais nous n'avions pas discuté de cela entre nous. Nous avons découvert les arguments des autres en lisant leurs mémoires.»

Les provinces de l'Atlantique se sont traditionnellement battues pour conserver le Sénat, car elles s'estiment sous-représentées à la Chambre des communes.

Mais Me Mitchell n'y voit pas la raison de cette division géographique sur le Sénat.

«La représentation régionale du Sénat, la représentation des intérêts des régions est aujourd'hui très théorique», juge-t-il.

L'audition de cette importante cause pour le pays est prévue pour trois jours.