Blâmant le gouvernement pour avoir déposé au Parlement des liasses de documents uniquement en anglais ou en français dans l'épineux dossier du transfert des détenus afghans, le commissaire aux langues officielles a jugé que l'urgence de la situation ne pouvait tout justifier.

Ce rapport préliminaire du commissaire Graham Fraser, obtenu par La Presse Canadienne, fait suite à des plaintes du Nouveau Parti démocratique (NPD).

Il rappelle l'un des chevaux de bataille des partis d'opposition dès 2007: celui de faire la lumière sur le cas de plusieurs prisonniers en Afghanistan, alors qu'ils craignaient qu'ils aient été torturés une fois transférés aux mains de leurs geôliers afghans. Et cela, au vu et su de l'armée canadienne, redoutaient-ils.

Pressés d'avoir l'heure juste, les députés au Parlement canadien avaient unanimement consenti en 2011 au dépôt public de plus de 4000 pages de documents visant à expliquer ce qui s'était passé, même s'ils n'étaient pas tous disponibles dans les deux langues officielles.

L'opposition avait quand même protesté et dénoncé le gouvernement pour ne pas avoir traduit les documents.

L'urgence de la situation avait requis cette décision, puisque des vies étaient en jeu, a expliqué en entrevue le député néo-démocrate Yvon Godin.

Mais il a porté plainte, comme trois de ses collègues, parce qu'il estime que le gouvernement les a «pris à la gorge» par sa négligence.

À ce jour, les documents unilingues qui accompagnaient le rapport (produit, lui, dans les deux langues officielles) ne sont toujours pas traduits, affirme Yvon Godin.

Ce conflit linguistique n'était qu'un aspect de ce complexe dossier touchant au respect des droits humains, qui a fait couler beaucoup d'encre pendant des années.

Le commissaire Fraser a jugé les plaintes fondées contre le ministère des Affaires étrangères et la Chambre des communes, dans un rapport daté de septembre 2013.

Car le consentement unanime des députés fédéraux ne peut écarter les obligations quasi constitutionnelles de la Loi sur les langues officielles, tranche-t-il.

Lors de l'enquête du commissaire, le ministère des Affaires étrangères a fait valoir que la nature urgente du dossier nécessitait le dépôt des documents dans leur état original et non censurés, est-il rapporté.

L'explication ne tient pas la route, estime le commissaire. Car la situation était prévisible.

«L'information fournie par le ministère des Affaires étrangères ne démontre aucune tentative par le département d'obtenir les documents requis dans les deux langues officielles des institutions soumises à la Loi sur les langues officielles», est-il écrit dans le rapport du commissaire.

Et le ministère aurait pu traduire les documents au fur et à mesure, sans attendre le moment du dépôt, souligne-t-il.

À l'époque, un comité de députés des différents partis à Ottawa - sauf le NPD qui n'avait pas voulu y participer - avait été chargé d'examiner en document secret de plus de 40 000 pages pour juger lesquels pouvaient être dévoilés au public sans nuire à la sécurité nationale. Les quelque 4000 pages déposées étaient le résultat de cet exercice.

Contacté au sujet du rapport du commissaire Fraser, le ministère des Affaires étrangères a indiqué par courriel qu'il l'avait bien reçu et était en train d'y préparer une réponse.

«Tous les partis ont donné leur consentement unanime pour déposer les documents tels quels», a souligné un porte-parole dans le courriel.

C'est vrai, admet M. Godin, mais imaginez dans quelle situation les députés ont été placés, a-t-il fait remarquer.

«Ça a mis quasiment les députés au pied du mur à cause de l'importance du sujet. Combien ça aurait pris de mois avant de voir le rapport, et il y avait des vies en danger», s'est-il exclamé.

«Il ne faut pas que le ministère remette jamais le Parlement dans cette position-là».

M. Godin s'est déclaré satisfait des conclusions du commissaire, soulignant que les Canadiens doivent pouvoir consulter les documents déposés au Parlement dans la langue officielle de leur choix.

Mais il déplore que l'intervention du chien de garde des langues officielles soit toujours nécessaire pour mettre les conservateurs au pas.

M. Fraser recommande que les documents soient traduits d'ici mars 2014. Et ajoute que le ministère devrait se doter de procédures pour assurer le dépôt de documents aux Communes en anglais et en français. La Chambre des communes devrait aussi mettre en place un mécanisme pour que les documents soient archivés conformément à la loi, est-il aussi suggéré.