Le gouvernement de Stephen Harper a décidé de devancer le remplacement du pont Champlain en mettant de côté les principes de concurrence dans l'attribution d'un contrat de services d'ingénierie. Ottawa a ainsi confié, sans appel d'offres public, un mandat de 15,2 millions à la firme ARUP, qui lui avait recommandé, dans une étape précédente, d'accélérer la livraison du nouveau pont.

À l'heure où l'absence de compétition dans l'attribution de contrats soulève beaucoup de critiques au Québec, notamment avec les travaux de la commission Charbonneau, la décision du gouvernement fédéral est plutôt mal accueillie par les associations professionnelles d'ingénieurs-conseils. La présidente de l'Association des ingénieurs-conseils du Québec (AICQ), Johanne Desrochers, ne cache pas son irritation. «Les règles de transparence et de démocratie ont encore une valeur. Le gouvernement a manqué à cet égard. C'est évident», a-t-elle affirmé à La Presse.

Son collègue de l'Association des firmes d'ingénieurs-conseils du Canada, John Gamble, abonde dans le même sens. «Pour la suite des choses, le gouvernement doit donner des indications claires», a-t-il souligné. C'est d'autant plus important, selon M. Gamble, que Transports Canada avait déjà établi un échéancier, depuis plusieurs mois, ce qui avait permis à plusieurs firmes de «planifier leurs stratégies de proposition» et d'y affecter les ressources en conséquence. Sans prévenir, le gouvernement a changé «les règles du jeu» à mi-chemin.

Mme Desrochers et M. Gamble ont fait parvenir une lettre à Transports Canada, le 1er octobre, pour réclamer «instamment une explication et une justification». «L'industrie aimerait aussi une confirmation de l'engagement du gouvernement fédéral à l'égard d'un processus d'approvisionnement équitable, concurrentiel et transparent», écrivent-ils.

Gagner six mois

La gestion du dossier du remplacement du pont Champlain est entre les mains de Transports Canada, mais c'est le ministère des Travaux publics qui a attribué le contrat de 15 218 401,43$. «L'attribution de ce contrat à un fournisseur unique permettra à Transports Canada de gagner environ six mois dans l'élaboration de documents d'approvisionnement aux fins de la construction du nouveau pont pour le Saint-Laurent», a indiqué hier Sonia Tengelsen, responsable de l'information à Travaux publics Canada. Mme Tengelsen a expliqué que le gouvernement peut agir ainsi en considérant l'intérêt public.

Le mois dernier, le ministre des Transports, Denis Lebel, a annoncé que l'importance de la détérioration du pont Champlain commandait une réfection d'urgence ainsi qu'une révision de l'échéancier de construction d'un nouveau pont, prévue actuellement pour 2021. Ce changement fait suite à la recommandation d'un consortium d'entreprises auquel a été associé ARUP.

«Étant donné que la société ARUP Canada Inc. a déjà travaillé sur le design préliminaire du nouveau pont en tant que spécialiste des ponts à titre de sous-traitant de la société PricewaterhouseCoopers, elle possède le profil idéal pour effectuer les travaux de conception et d'ingénierie requis selon un calendrier d'exécution accéléré», a affirmé Mme Tengelsen.

Le mandat de la firme ARUP consistera à effectuer les premiers travaux d'ingénierie (pont, routes, circulation), à fournir des services de coordination pour la gestion du projet et à établir les exigences de conception technique préliminaires. Il s'agit des balises (le nombre de voies et leur configuration, les exigences environnementales, la qualité architecturale, l'infrastructure de péage et les besoins en matière d'entretien et d'exploitation) qui serviront à choisir une entreprise en mode de partenariat public-privé.

ARUP est une entreprise britannique installée au Canada depuis 2000. En janvier dernier, la firme a ouvert un bureau à Montréal. Au total, ARUP Canada compte 20 employés.