Alors que le scandale des dépenses au Sénat continue d'ébranler son gouvernement, Stephen Harper tente de garder le cap sur l'économie en vantant des réussites comme la conclusion de l'accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne. Mais la colère des militants du Parti conservateur, qui tiendront leur congrès national à Calgary à partir de jeudi, pourrait le contraindre à apporter des ajustements à son plan de match à deux ans des prochaines élections.

Gouverner le pays dans la tourmente économique mondiale, mettre en oeuvre des politiques chères au Parti conservateur sans effaroucher les électeurs et maintenir l'unité des différentes factions au sein de son parti.

Stephen Harper a dû s'attaquer à plusieurs défis depuis qu'il a accédé au pouvoir en février 2006. Malgré le scandale des dépenses au Sénat qui sévit depuis près de huit mois et même si son gouvernement est au pouvoir depuis sept ans, son parti continue de recueillir l'appui d'environ 30% des Canadiens dans les sondages. Un noyau important quand on sait que nombreux sont les gouvernements qui perdent davantage la faveur populaire à mesure que le temps passe et que l'usure du pouvoir s'installe, surtout quand une crise économique de l'ampleur de celle de 2008 frappe le pays.

M. Harper, qui doit affronter ses militants pendant le congrès national du Parti conservateur de trois jours qui commence jeudi à Calgary, a annoncé en août avoir la ferme intention de solliciter un autre mandat en 2015. À cette date, il aura été premier ministre pendant plus de neuf ans.

S'il devait briguer à nouveau les suffrages et remporter la victoire, il inscrirait son nom dans les livres d'histoire en devenant le cinquième premier ministre ayant servi le plus longtemps, derrière Mackenzie King (21 ans), John A. Macdonald (19 ans), Pierre Elliott Trudeau (15 ans) et Wilfrid Laurier (15 ans).

Il supplanterait les Jean Chrétien (10 ans), Brian Mulroney (8 ans et 281 jours) et Robert Borden (8 ans et 281 jours).

Vers le centre

«Stephen Harper a démontré que le Parti conservateur peut aspirer à être un Natural Governing Party. Il a pris en main l'Alliance canadienne, le Parti conservateur, les a fusionnés pour créer un nouveau parti. Nous ne sommes plus un parti marginal comme c'était le cas dans les années 90. Il a donné de la crédibilité à ce parti. C'est évident qu'il l'a ramené vers le centre», a souligné cette semaine un stratège conservateur qui a requis l'anonymat.

Les questions controversées comme l'accès à l'avortement, les mariages gais et la peine de mort, qui mobilisent les conservateurs sociaux, ont été résolument mises de côté par Stephen Harper. Mais il a aussi su leur donner quelques "bonbons". Par exemple, quand son gouvernement a annoncé le programme visant à améliorer la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants dans les pays en développement, il a certifié qu'il ne servirait pas à fournir des services d'avortement, même pour les femmes victimes de viol.

Bilan économique

Ceux qui se disent conservateurs sur le plan fiscal ont aussi trouvé leur compte, malgré les années déficitaires depuis 2008. Un plan d'élimination du déficit est suivi à la lettre de sorte que l'équilibre budgétaire devrait être rétabli d'ici 2015. Les impôts ont été réduits de manière substantielle - 220 milliards de dollars entre 2006 et 2014 - et le gouvernement a conclu un traité de libre-échange historique avec l'Union européenne.

Le gouvernement Harper compte aussi adopter une loi antidéficit et imposer un gel des dépenses de fonctionnement de l'État pendant deux ans.

«Les conservateurs sur le plan financier représentent un gros morceau de notre parti et même de la population. Ils peuvent se montrer satisfaits depuis la crise de 2008», affirme-t-on dans les rangs conservateurs.

En faisant appel au patriotisme et en misant sur des symboles britanniques, Stephen Harper a voulu plaire à une autre frange du parti.

«Les gens les plus heureux dans notre parti actuellement, ce sont les conservateurs traditionnels anglophones, ceux qui aiment le drapeau canadien, la Reine, les symboles militaires, etc. Ces conservateurs traditionnels voient qu'il y a eu des gains. Mais pour le premier ministre, ce sont des gains qui ne coûtent absolument rien. C'est juste de la perception», relève un autre stratège.

Stephen Harper a remanié son cabinet en juillet et présenté un nouveau discours du Trône la semaine dernière dans l'espoir de donner un second souffle à son gouvernement à deux ans du prochain scrutin. Il continue de frapper sur le clou de l'économie, la carte qui, croit-il, lui permettra de remporter un autre mandat. La controverse au Sénat fera-t-elle dérailler son plan de match? Ses admirateurs et ses adversaires se posent la même question.

Deux résolutions à suivre au congrès des conservateurs

1. Une résolution propose de geler les dépenses du gouvernement à 300 milliards de dollars à partir du moment où l'équilibre budgétaire est atteint, en 2015-2016, et pour les quatre années subséquentes. Cette résolution est parrainée par l'association de la circonscription de Beauce du ministre d'État aux Petites Entreprises, Maxime Bernier.

2. Une autre résolution propose de modifier les règles qui encadrent la sélection du chef du Parti conservateur. Au lieu d'accorder un poids égal à toutes les circonscriptions, comme c'est le cas en ce moment, la résolution propose d'accorder plus de poids aux circonscriptions qui comptent plus de membres. Cette résolution pourrait diviser le parti puisque le ministre de la Justice, Peter MacKay, s'y oppose farouchement tandis que le ministre de l'Emploi et du Développement social, Jason Kenney, l'appuie. Les militants ont rejeté une résolution comparable à trois reprises dans le passé.

Les aspirants

Le premier ministre Stephen Harper a indiqué en août qu'il a la ferme intention de solliciter un autre mandat en 2015. Si tel devait être le cas, il s'agirait de sa cinquième campagne électorale en tant que chef du Parti conservateur. Mais si le scandale des dépenses au Sénat continue de faire perdre des plumes aux conservateurs dans les sondages, M. Harper pourrait tirer sa révérence. Qui pourrait prendre la relève? Court portrait de cinq aspirants.

1. James Moore

Après un passage sans faute au ministère du Patrimoine, James Moore est maintenant à la tête d'un ministère à caractère économique, l'Industrie. Jeune - il n'a que 37 ans -, M. Moore est bilingue et représente une circonscription de la région de Vancouver. Il représente l'aile progressiste du parti, même s'il vient de l'Ouest. Il a perdu 45 lb l'été dernier après être devenu papa pour la première fois.

2. Jason Kenney

Largement crédité pour la percée qu'ont faite les conservateurs chez les électeurs issus des communautés ethnoculturelles, M. Kenney est un travailleur infatigable. Il est vu comme l'homme de confiance de Stephen Harper pour s'attaquer à des défis importants. Il est actuellement ministre de l'Emploi et du Développement social. Représentant l'Alberta aux Communes depuis 1997, M. Kenney est parfaitement bilingue et pourrait être celui qui décide qui prendra la tête du parti s'il n'est pas candidat.

3. Jim Prentice

Associé depuis longtemps à l'aile progressiste du Parti conservateur, M. Prentice a quitté le gouvernement Harper pour faire le saut dans le secteur privé en novembre 2010. Il a été à la barre de trois ministères (Industrie, Affaires indiennes et Environnement) dans le gouvernement Harper. Actuellement vice-président de la CIBC, M. Prentice multiplie les démarches pour mettre sur pied une équipe qui l'épaulera dans une éventuelle course à la direction.

4. Maxime Bernier

Le ministre d'État aux Petites Entreprises a repris du galon au sein du Parti conservateur depuis que la controverse entourant l'affaire Julie Couillard l'a contraint à quitter ses fonctions de ministre des Affaires étrangères, en 2007. Très populaire dans les rangs conservateurs dans l'Ouest en raison de ses positions fermes sur les questions fiscales, M. Bernier pourrait être l'un des rares députés du Québec à se faire élire aux prochaines élections. Les stratèges conservateurs apprécient aussi ses talents de communicateur.

5. Chris Alexander

Ancien ambassadeur du Canada en Afghanistan, M. Alexander a toutes les qualités pour devenir chef du parti un jour: jeune, plurilingue, doté d'un certain charisme et capable de défendre ses idées avec vigueur. Mais il commence sa carrière politique, après avoir été élu en 2011 seulement. Il n'a accédé au Conseil des ministres (Immigration) qu'en juillet et ses racines au parti ne sont pas très profondes.

Grogne chez les militants conservateurs

Les députés conservateurs se sont fait chauffer les oreilles tout l'été par des membres du parti en colère devant le scandale des dépenses au Sénat.

Des militants ont aussi envoyé des courriels au bureau du premier ministre pour exprimer leur courroux. D'autres ont pris le temps d'écrire une lettre d'opinion dans les journaux pour dénoncer une situation qu'ils jugent intolérable.

Pour calmer la grogne avant la tenue du congrès national du Parti conservateur, la semaine prochaine à Calgary, des stratèges ont tenu à donner quelques «bonbons aux militants».

Ainsi, le gouvernement Harper a promis, dans le discours du Trône présenté la semaine dernière, d'adopter une loi interdisant tout déficit, sauf en temps de crise. Il a aussi réitéré son intention d'éliminer le déficit actuel d'ici 2015 et de geler les dépenses de fonctionnement de l'État pendant deux ans.

Également la semaine dernière, le leader du gouvernement au Sénat, le sénateur conservateur Claude Carignan, a déposé des motions visant à suspendre sans salaire trois sénateurs qui ont réclamé des dépenses injustifiées - Mike Duffy, Pamela Wallin et Patrick Brazeau - pendant le reste de la session parlementaire. Ces trois sénateurs ont tous été nommés par Stephen Harper en 2008.

Mais cette motion soulève beaucoup de controverse. Certains sénateurs conservateurs s'y opposent et le vote sur les motions n'aura pas lieu avant lundi ou mardi. Le premier ministre Stephen Harper a donné son appui à cette motion. Si elle devait être rejetée, cela constituerait un important revers pour lui.

«Il est évident que toutes ces mesures ont été proposées pour calmer la base du parti en prévision du congrès national», a déclaré à La Presse un stratège conservateur, qui s'est exprimé à condition que son identité soit protégée.

«La base n'est pas de bonne humeur avec tout ce qui se passe au Sénat. Mais, pour le moment, les militants ne semblent pas jeter le blâme sur le premier ministre», a ajouté ce stratège.