Alors que l'opposition promettait de tout faire pour que le scandale des dépenses des sénateurs ne tombe pas dans l'oubli, les conservateurs ont peut-être trouvé le moyen d'étouffer les critiques.

Le leader du gouvernement au Sénat, Claude Carignan, a fait savoir jeudi qu'il allait déposer une motion pour suspendre sans salaire les sénateurs Patrick Brazeau, Mike Duffy et Pamela Wallin de la Chambre haute «pour négligence grossière» de leurs ressources.

Ces trois anciens membres du caucus conservateur font l'objet d'une enquête de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), mais des accusations pèsent seulement sur M. Brazeau - qui était déjà suspendu avec salaire depuis février.

Le sénateur Carignan a soutenu que les trois motions visaient à «protéger la dignité et la réputation» de l'institution. Il s'inquiète également de la confiance des Canadiens envers le Parlement.

M. Duffy s'est retrouvé dans l'eau chaude après avoir accepté un chèque de 90 000 $ de l'ancien chef de cabinet de Stephen Harper, Nigel Wright, pour le remboursement de dépenses de logement auquel il n'avait pas droit. Des irrégularités quant aux allocations de logement entachent également le dossier de M. Brazeau, qui fait par ailleurs face à des accusations criminelles de voie de fait et d'agression sexuelle. Mme Wallin a pour sa part été mise sur la sellette en raison de ses frais de déplacement extravagants.

Tous les trois avaient été nommés au Sénat par Stephen Harper.

M. Carignan assure que son initiative n'est pas une tentative de faire taire un débat qui fait mal paraître le premier ministre.

«Je ne pense pas que ça met le couvercle, au contraire. C'est prendre les décisions qui s'imposent pour sanctionner disciplinairement les collègues», a-t-il insisté.

Techniquement, la suspension devrait prendre fin lors de la clôture de l'actuelle session, dans environ deux ans. En réalité toutefois, il serait bien étonnant que les trois sénateurs réprimandés retrouvent grâce auprès de l'institution.

Voilà pourquoi la mesure draconienne rend inconfortables certains sénateurs, qui signalent que dans les cas de Mme Wallin et de M. Duffy, aucune accusation n'a été portée par la police.

«Il n'y a pas d'accusation. À l'heure actuelle, on condamne des gens sur des présomptions, sur des rapports», a signalé la libérale Céline Hervieux-Payette.

Sa position fait écho à celle de son collègue George Baker, qui craint que cette suspension devienne permanente.

M. Carignan insiste pour sa part sur le fait qu'il s'agit de mesures disciplinaires, et non légales.

Les sénateurs libéraux décideront mardi matin en caucus de la position qu'ils adopteront, mais leur leader au Sénat, James Cowen, semble plutôt favorable à la proposition conservatrice. «Je n'ai certainement aucune sympathie pour ces trois sénateurs qui ont délibérément violé ce que nous avons déterminé être des règles claires», a-t-il noté.

L'avis de motion pour les suspensions est survenu quelques instants après que M. Duffy ait rendu publique une lettre dans laquelle il affirme devoir prendre congé de la Chambre haute pour des raisons médicales.

Le sénateur soutient avoir expédié jeudi matin la missive, adressée au président du Sénat, Noël Kinsella. Il dit avoir subi une opération à coeur ouvert en 2006. Un examen médical cette semaine aurait révélé un progrès de la maladie et son médecin lui aurait conseillé d'arrêter le travail.

Aux Communes

Si les sénateurs conservateurs semblent avoir trouvé une façon d'atténuer le scandale dans la Chambre haute, à quelques mètres de là, l'opposition aux Communes promet que l'affaire ne s'éteindra pas si facilement.

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) a déposé au tout premier jour des travaux parlementaires une question de privilège au président de la Chambre, Andrew Scheer. Les troupes de Thomas Mulcair lui demandent si le premier ministre Stephen Harper s'est parjuré en affirmant que seul son ex-chef de cabinet Nigel Wright connaissait l'existence du chèque personnel de 90 000 $ qu'il avait signé au sénateur Mike Duffy.

C'est qu'il a été par la suite révélé dans une lettre émanant de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) que trois autres employés haut placés au bureau du premier ministre savaient que M. Wright avait ainsi aidé le sénateur à rembourser les allocations de logement auxquelles il n'avait pas droit.

Selon le député néo-démocrate Charlie Angus, soit le premier ministre a trompé la Chambre, soit il s'est fait leurrer par ses employés. Mais dans un cas comme dans l'autre, c'est la démocratie qui a souffert, a-t-il soutenu.

«D'un côté ou l'autre, il y a eu une violation sérieuse des droits et privilèges des députés, tout comme une violation de la confiance du public canadien», a-t-il insisté.

Il souhaite que l'affaire soit étudiée en comité. Libéraux et bloquistes se rangent derrière lui, exigeant eux aussi que toute la lumière soit faite sur cette histoire.

Mais le leader en Chambre du gouvernement, Peter Van Loan, a répété que Stephen Harper avait répondu aux questions sur le dossier au meilleur de sa connaissance.

«Il n'était pas au courant du paiement personnel de M. Wright avant le 15 mai, après qu'il eut été révélé (dans les médias). Le dossier a été géré par M. Wright et il en a pris l'entière responsabilité», a-t-il affirmé.

Le gouvernement veut analyser davantage les arguments de l'opposition avant de faire connaître l'ensemble de sa position sur l'initiative néo-démocrate.

Stephen Harper n'aura quant à lui pas à se défendre avant la semaine prochaine, puisqu'il s'est envolé pour deux jours pour Bruxelles.

Photo Fred Chartrand, La Presse Canadienne

Mike Duffy 

Des irrégularités quant aux allocations de logement entachent également le dossier de M. Brazeau, qui fait par ailleurs face à des accusations criminelles de voie de fait et d'agression sexuelle.

Mme Wallin a dû pour sa part répondre à des questions concernant ses frais de déplacement.

Tous les trois avaient été nommés au Sénat par Stephen Harper en 2008.

Photo Adrian Wyld, La Presse Canadienne

Pamela Wallin