Le nombre d'employés du centre canadien chargé de la surveillance électronique des communications a presque doublé depuis 10 ans, et son budget annuel a augmenté plus rapidement encore, passant de 166 millions à plus de 400 millions cette année, une hausse de 246%.

Ces données obtenues par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information témoignent de la croissance phénoménale du Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CSTC), dont les activités sont largement tenues secrètes.

Elles arrivent au moment où le Brésil réclame des explications officielles d'Ottawa au sujet d'un programme d'espionnage du CSTC ciblant le ministère des Mines et de l'Énergie du pays, et dont le fonctionnement détaillé a filtré dans la presse brésilienne.

«Cette situation est inadmissible entre des pays qui se prétendent partenaires, a lancé hier la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, sur Twitter. Nous évaluons actuellement la sécurité de nos systèmes. Nous entendons demander des explications du Canada. Ces actes iraient à l'encontre du respect de la souveraineté des nations.»

Hier, Ottawa a refusé de réagir.

«Nous ne commentons pas les activités de collecte de renseignements à l'étranger», a déclaré Julie Dimambro, porte-parole du ministère canadien de la Défense, dont relève le CSTC.

Cette année, l'organisation emploie 2136 personnes, comparativement à 1149 il y a 10 ans. Elle jouit d'un budget de 408,8 millions de dollars, contre 166,1 millions il y a une décennie.

En contrepartie, le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, chargé de surveiller le CSTC, dispose d'un budget de 2,2 millions et emploie 11 personnes.

Hier, la CSTC n'a pas répondu à la demande d'entrevue de La Presse.

Alors que les révélations sur la National Security Agency (NSA) aux États-Unis ont des échos jusqu'au Congrès, où un comité sénatorial étudie une loi pour mieux encadrer l'organisation, le rôle du CSTC ne fait pas l'objet de débats chez les élus canadiens.

Dans un courriel envoyé à La Presse, le porte-parole du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, Scott Hutchinson, a dit que son organisme n'avait pas étudié le CSTC.

«Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada n'a pas examiné la façon dont le Centre de la sécurité des télécommunications Canada utilise ses ressources, et, par conséquent, ne s'est pas forgé d'opinion sur la taille de l'enveloppe budgétaire de cet organisme», a-t-il déclaré.

Cet été, les documents confidentiels révélés par le délateur américain Edward Snowden ont rappelé que le CSTC était membre du réseau secret des Cinq Yeux (Five Eyes), qui comprend les services d'écoute des communications des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande.

C'est une présentation du CSTC à une réunion de ces cinq membres, en juin 2012, qui a filtré dans la presse brésilienne.

Dans la présentation, les gens du CSTC disent avoir mis sur pied le projet «Olympia», qui a ciblé le ministère des Mines et de l'Énergie du Brésil. Le service de renseignements canadien aurait obtenu de l'information de localisation sur les communications cellulaires de divers officiels.

Plus tôt ce mois-ci, la présidente du Brésil a annulé une visite officielle prévue à Washington pour protester contre les allégations d'espionnage de la part de la NSA américaine rendues publiques dans les documents révélés par Snowden.

Le CSTC est l'organisme fédéral chargé d'intercepter des communications en provenance ou en direction de l'étranger, afin de protéger la sécurité nationale du Canada. La loi lui interdit de diriger ses activités contre des Canadiens.

En août, le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications a ciblé des zones grises dans le fonctionnement de l'organisme.

«Un petit nombre de dossiers suggéraient la possibilité que des Canadiens aient été visés par certaines activités, ce qui est contraire à la loi», a écrit dans son rapport le commissaire Robert Décary.

M. Décary a aussi noté que bien des dossiers «n'étaient pas clairs ou [étaient] incomplets», l'empêchant d'aller plus loin dans son analyse.

-Avec la collaboration de William Leclerc