Le projet de charte des valeurs québécoises du gouvernement Marois est une violation des droits de la personne et un risque pour l'économie, dénonce le premier maire musulman de l'histoire canadienne. Naheed Nenshi, maire de Calgary, profite d'ailleurs du débat pour inviter les Québécois à s'établir dans sa ville.

Cette vedette montante de la politique au Canada anglais se sent interpellée par l'initiative péquiste. Il a étudié le français à l'Université Laval et marché dans les rues de Montréal à l'époque du référendum de 1995. En entrevue téléphonique, il qualifie de «nombriliste» le débat sur l'identité lancé par Québec. Et il assure que la foi n'y est pour rien dans sa prise de position musclée.

Que pensez-vous du projet de charte des valeurs québécoises?

Lorsque cette question a fait son apparition lors de la dernière campagne électorale québécoise, je me souviens de m'être dit que ce n'est pas seulement un projet de mauvais goût et une violation des droits de la personne. C'est aussi une très mauvaise politique publique. Je passe beaucoup de temps à tenter d'attirer les meilleurs talents du monde dans ma ville, d'attirer des gens qui veulent travailler ici, vivre ici, investir ici et fonder une famille ici. C'est essentiel au développement économique de notre pays que nos villes puissent attirer ces gens-là.

En quoi ce projet vous dérange-t-il?

Les gens disent que c'est une question de neutralité et de laïcité, mais ce n'est pas vrai. Vous n'avez pas une fonction publique neutre lorsqu'elle avantage les personnes d'une foi au détriment d'une autre. Or, c'est précisément ce que fait cette charte. Si un restaurant qui cherche des employés demande aux juifs orthodoxes de ne pas postuler, ce restaurant n'est pas neutre ou laïque. Il pratique l'exclusion. Le service public, tout particulièrement, doit être un lieu d'inclusion où tous les citoyens sont bienvenus.

Est-ce que le fait d'être musulman vous a déjà empêché d'être neutre comme maire de Calgary?

Absolument pas. En grandissant dans cette ville et dans ce pays, je n'ai jamais senti qu'une profession ou qu'une occasion ne m'était pas accessible à cause de ma foi. Je pense que c'est une grande force du Canada. Ma propre foi n'est pas pertinente à mon opinion sur cette charte. Je crois que c'est plutôt une question d'égalité des chances pour tout le monde.

Jusqu'où pouvez-vous aller pour vous opposer à ce projet, et jusqu'où irez-vous?

Je crois que chaque être humain a l'obligation morale de dénoncer l'injustice. Il se trouve que j'ai une tribune un peu plus grande que la plupart des gens et je suis heureux de m'en servir. J'étais à Montréal, il y a un an, pour inviter les gens à prendre part au développement économique de Calgary, y travailler et y investir. Cette action du gouvernement du Québec me donne une voix encore plus importante pour dire aux Québécois que, s'ils veulent vivre et contribuer à une société inclusive, ils sont les bienvenus ici, à Calgary.

Vous transformez donc votre critique en invitation. Quelle réponse espérez-vous?

Nous accueillons des gens de partout au pays depuis des années. Calgary est la première destination pour les migrants interprovinciaux au Canada. Nous avons d'excellentes écoles publiques francophones, nous avons une communauté francophone forte. Nous serons enthousiastes si des Québécois de tous les horizons nous choisissent comme ville d'adoption.

La population de l'Alberta est en voie de dépasser les 4 millions de personnes, et l'immigration contribue beaucoup à cette croissance. Quels défis identitaires cet afflux pose-t-il à votre province et comment les autorités y répondent-elles?

Les défis de la croissance ne sont pas des débats interminables et nombrilistes sur l'identité. Nous avons toujours été une terre d'accueil pour les nouveaux arrivants, qu'ils soient des agriculteurs ukrainiens ou des immigrants philippins. Notre préoccupation de faire en sorte que tout le monde ait un logement décent et des occasions d'emploi. Nous ne nous soucions pas de notre identité. Notre identité est forte et elle est forte précisément parce qu'elle est accueillante. Venez au Stampede de Calgary et vous verrez des gens de toutes les ethnies portant un chapeau de cowboy. Vous verrez des gens qui portent des Wrangler avec un turban, et c'est très bien ainsi parce que c'est ce que nous sommes.

Ne croyez-vous pas que le Québec, une province francophone dans un continent anglophone, est justifié de se doter d'une approche différente à l'intégration des immigrants?

La charte des valeurs n'a rien à voir avec la langue. Des juifs orthodoxes parlent le français au Québec depuis que le Québec existe. Ce que vous dites est que maintenant, ces juifs orthodoxes, s'ils portent une kippa, ne peuvent plus être médecins, juges, enseignants. Ce n'est pas une question de langue, c'est une question d'intolérance. Nous n'accepterons jamais qu'un groupe, parce qu'il constitue une minorité, se donne le droit de restreindre les droits d'une minorité encore plus petite. Ce n'est pas cohérent et ça ne fait rien pour protéger qui que ce soit.