Le retrait des militaires étrangers d'Afghanistan prévu en 2014 risque d'entraîner une augmentation importante du nombre de demandes d'asile au Canada, appréhende le gouvernement canadien. Les groupes de défense des réfugiés croient toutefois que, plutôt que de fermer ses portes, le Canada a une «obligation morale» d'aider les Afghans.

La Presse a obtenu, en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, une série de rapports de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) exposant le phénomène de l'immigration illégale au pays. Le document détaillant la situation afghane s'inquiète tout particulièrement des répercussions de la fin de la mission militaire de l'OTAN en Afghanistan, prévue l'an prochain.

«Le retrait des troupes internationales d'Afghanistan à la fin de 2014 et la diminution de l'aide externe qui en découlera, en plus de l'incertitude politique et la perte de confiance des entreprises, auront de vastes répercussions sur la scène politique et économique de l'Afghanistan», peut-on lire.

L'ASFC ajoute que le départ des soldats étrangers «pourrait mener à une augmentation du mouvement de migrants irréguliers d'origine afghane».

En plus du retrait militaire, l'ASFC souligne que plusieurs pays sont en train de fermer leurs portes aux Afghans, ce qui risque d'augmenter encore la pression sur le Canada. Principale destination des réfugiés afghans, le Pakistan menace notamment d'expulser le 1,6 million de personnes qu'il héberge sur son territoire.

«Les passeurs de clandestins pourront tout de même profiter de la situation en facilitant le mouvement illicite des personnes qui peuvent payer leur voyage vers un pays occidental», écrit l'ASFC.

Plusieurs pays de l'Union européenne risquent également d'imposer un retour vers l'Afghanistan aux demandeurs d'asile. L'Allemagne, l'Autriche et la Suisse observent depuis peu une augmentation marquée du nombre d'illégaux. Ils sont passés de 4300 en 2010 à 7300 en 2011.

Dans son rapport, l'ASFC indique que les deux tiers des demandes d'asile ont été faites alors que les Afghans se trouvaient déjà en sol canadien. La majorité des demandeurs n'avaient aucun document et ont refusé de dévoiler l'itinéraire qu'ils ont emprunté pour entrer au pays. Dans les rares cas où leur itinéraire a pu être retracé, l'Agence a constaté qu'ils avaient transité par l'Europe.

Pour faciliter leur entrée, les Afghans misent sur de faux documents: passeports, certificats de mariage, curriculum vitae ou demandes d'emploi. Certains vont même jusqu'à rédiger de fausses lettres de menace de mort des talibans.

Pour entrer illégalement au Canada, les Afghans misent en particulier sur un pays d'Europe de l'Ouest. L'ASFC en a toutefois caviardé le nom dans le document fourni à La Presse. «On ignore comment ils ont obtenu ces passeports, mais le recours à ces documents suggère la participation de réseaux de passeurs qui facilitent le voyage de migrants irréguliers.»

Baisse des réfugiés

Ces craintes sur les réfugiés afghans surgissent alors que le gouvernement canadien a récemment resserré ses règles sur le traitement des demandes d'asile. En 2012, le nombre de demandes d'asile au Canada a été à son plus bas en 25 ans.

Pour l'heure, le nombre de réfugiés en provenance d'Afghanistan est d'ailleurs plutôt faible. De 2008 à 2011, seulement 1652 Afghans ont présenté une demande d'asile au Canada. Les données du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies démontrent que le nombre de réfugiés afghans vivant au Canada est à son plus bas depuis 2000. De 14 400 réfugiés recensés en 2006, ils sont passés à 2609 réfugiés en 2012.

Le gouvernement a toutefois raison de s'attendre à une augmentation du nombre de réfugiés afghans, dit Heather Barr, spécialiste de l'Afghanistan pour Human Rights Watch. «La situation risque en effet de se détériorer avec le retrait de 2014. Tous les Afghans que je connais cherchent des solutions pour faire sortir leur famille.»

Heather Barr se désole toutefois de voir le Canada fermer ses portes aux réfugiés, estimant que le pays a une obligation morale après être intervenu militairement depuis 2002.

«Tous les pays qui ont joué un rôle important et qui s'en vont sans avoir atteint leur objectif ont une obligation morale envers les Afghans. Ils devraient prendre en considération la situation de la sécurité», dit-elle.

Cette attention portée aux Afghans par l'ASFC irrite le Conseil canadien pour les réfugiés. «C'est décevant qu'on regarde la question des arrivées irrégulières plutôt que le côté humain. Il n'y a pas de sécurité pour les Afghans. Si on retire les forces internationales, ce n'est pas parce que tout est beau. Le problème n'est pas résolu», souligne Janet Dench.

Le Conseil canadien pour les réfugiés fait valoir que «le nombre de demandeurs d'asile a chuté considérablement depuis l'entrée en vigueur des modifications législatives. Est-ce que ça va continuer?»

- Avec William Leclerc