Le sénateur conservateur Jacques Demers refuse de jeter la pierre au chef libéral Justin Trudeau dans le débat qui entoure ses conférences rémunérées par des oeuvres de charité. Il reconnaît avoir lui-même reçu de tels cachets, en entrevue à La Presse.

«Ce serait trop facile [de blâmer M. Trudeau]», a dit l'ex-entraîneur-chef du Canadien de Montréal.

Sa position détonne de celle du bureau du premier ministre, qui mène la charge depuis quelques jours pour discréditer M. Trudeau au sujet de ces discours prononcés de 2006 à 2012, soit avant qu'il se lance dans la course à la direction de son parti.

«Quelqu'un qui est payé par le public, qui reçoit une bonne rémunération des contribuables canadiens, je ne crois pas que c'est correct pour moi de recevoir de l'argent d'une oeuvre de charité», a déclaré le premier ministre Stephen Harper au terme du sommet du G8 en Irlande du Nord, hier.

Les conservateurs entendent même demander au commissaire à l'éthique aujourd'hui de se prononcer sur la légalité de dizaines de milliers de dollars reçus par M. Trudeau en cachets par des groupes syndicaux.

Au cours d'un entretien téléphonique, M. Demers a affirmé avoir été rémunéré par certains organismes qui luttent notamment contre l'analphabétisme. Il reçoit environ 5000$ par conférence et ses activités lui auraient rapporté près de 50 000$ l'an dernier, a-t-il indiqué.

Le sénateur québécois a cependant précisé qu'il donne jusqu'à une vingtaine de conférences chaque année sans recevoir aucune rémunération et qu'il va parfois jusqu'à payer lui-même ses frais de déplacement. Il a ajouté qu'il s'assure le plus souvent de faire une contribution à la cause visée - qu'elle soit monétaire ou en posant certains gestes, comme de donner des billets de hockey.

«Il y a des moments où, en fin de compte, tu ne peux pas toujours tout charger», a-t-il dit.

D'autres sénateurs aussi

Les groupes qui ont eu recours à ses services, rémunérés ou non, incluent des entreprises comme la Banque Royale, Telus ou Rogers, a indiqué le sénateur, de même que des écoles, des centres de détention et divers autres organismes qui mènent des activités de financement.

«Normalement, on leur amène de l'argent à ces associations-là, a noté le sénateur Demers au sujet de ces activités de financement. Et normalement, elles se servent de notre nom.»

D'autres sénateurs conservateurs, dont l'ancien président des Alouettes de Montréal, Larry Smith, de même que Mike Duffy et Pamela Wallin, déclarent eux aussi des revenus provenant de conférences au conseiller sénatorial à l'éthique.

M. Smith n'a pas rappelé La Presse, hier, et son bureau a refusé de rendre public le lieu de ses conférences lorsqu'un autre média le lui a demandé.

Remboursement demandé

La controverse qui entoure les activités de Justin Trudeau est née de la demande d'un groupe du Nouveau-Brunswick, Grace Foundation.

L'organisme, dont il s'avère qu'au moins une administratrice entretient des liens avec le Parti conservateur, a demandé en mars dernier qu'il rembourse son cachet de 20 000$ pour un discours prononcé en avril 2012, à l'occasion d'une activité visant à financer une maison de retraite.

La fondation a fait valoir que l'activité avait été un échec et qu'elle avait perdu de l'argent.

M. Trudeau a promis, une fois l'incident rapporté par les médias, de rembourser les sommes perçues et de contacter les autres groupes qui l'ont rémunéré pour des conférences depuis son élection en 2008, pour leur demander s'ils souhaitaient eux aussi être dédommagés.

Les troupes de Stephen Harper ont continué cette semaine à dénoncer la conduite de leur adversaire, dont le bureau du premier ministre lui-même, qui a contacté des journalistes lundi pour soulever d'autres cas prétendument condamnables.

Les conservateurs ont en outre affirmé qu'il avait promis ces remboursements uniquement à cause de l'attention médiatique.

Mais Jacques Demers ne le voit pas du même oeil. «Je respecte ça et il y a bien des gens qui disent: "Il fait ça parce qu'il est pris". Il n'est pas pogné! Est-ce qu'il a volé quelqu'un?», a-t-il lancé.