Le gouvernement Harper dit vouloir, avec le dépôt jeudi d'un projet de loi, consulter les communautés avant l'ouverture d'un site d'injection de drogue supervisée, mais le jour même, le Parti conservateur a mis en ligne une pétition à ce sujet intitulée «Gardez l'héroïne loin de chez nous».

«Voulez-vous d'un centre de consommation de drogue supervisée dans votre communauté?», demande la pétition.

«Je n'en veux pas près de chez moi», souligne Jenni Byrne, la directrice de campagne nationale 2011 du Parti conservateur, qui signe la pétition sur le site Web.

Le parti pourrait ainsi donner raison à ceux qui craignaient que le gouvernement conservateur ne cherche plutôt à interdire ces sites d'injection.

La pétition invite les citoyens à ajouter leur nom s'ils ne veulent pas de sites d'injection dans leur communauté et s'ils désirent que leur voix soit entendue avant l'installation d'un tel centre.

C'est une référence au projet de loi C-65 qui a été déposé jeudi matin par la ministre de la Santé, Leona Aglukkaq.

Selon les nouvelles règles, ceux qui voudraient ouvrir un tel site devront d'abord prendre en considération les avis des communautés visées, des forces policières et obtenir le soutien des autorités municipales et provinciales. Mais ils devront fournir beaucoup d'autres preuves et documents, notamment sur la viabilité financière du site, sa nécessité dans la communauté, et sur son impact potentiel sur la sécurité publique.

Et c'est la ministre de la Santé qui aura le dernier mot sur les demandes.

Déjà, les partisans des centres d'injection supervisée redoutaient que les nouvelles règles proposées par le gouvernement conservateur ne rendent beaucoup plus difficile l'établissement de tels centres.

C'est d'ailleurs l'opinion de l'Association médicale canadienne.

«L'Association est profondément inquiète que la législation proposée ne crée des obstacles non nécessaires et un fardeau qui pourrait ultimement empêcher la création d'autres sites d'injections», est-il écrit dans un communiqué.

Il est craint que des opposants bien organisés et très visibles puissent faire dérailler un projet.

Sur son site, le Parti conservateur qualifie par ailleurs les règles de «sévères».

Il décrit les sites d'injection comme «des endroits où des toxicomanes vont s'injecter de l'héroïne et consommer d'autres drogues illicites».

Questionnée par La Presse Canadienne à savoir si le site du parti n'envoie pas plutôt le message que le gouvernement ne veut pas de sites d'injections, la ministre Aglukkaq a répondu que le gouvernement veut mettre l'accent sur la prévention.

«Il est très important d'empêcher les jeunes gens de devenir accrocs aux produits illégaux», a dit la ministre, insistant sur l'importance de plusieurs initiatives du gouvernement, comme la stratégie nationale antidrogue.

Elle affirme que les nouvelles règles ne visent pas à empêcher la création de centres d'injection.

«Si les critères sont remplis, ils pourront avoir une exemption», a-t-elle dit.

Les règles sont-elles plus «sévères» comme l'indique le parti? «Il y a beaucoup de Canadiens qui n'en veulent pas (des sites d'injection). Mais ils ont le droit d'exprimer leurs préoccupations», s'est-elle bornée à répondre.

Elle n'a pas voulu dire si son parti préférerait une interdiction totale de ces sites. «C'est une question hypothétique», a-t-elle dit avant de mettre fin à la conversation.

L'organisme montréalais Cactus, qui est un site de distribution et d'échange de seringues stériles, a aussi ses craintes.

«A priori, ce n'est certainement pas pour nous faciliter la tâche», a dit la directrice générale Sandhia Vadlamudy au sujet des règles proposées.

L'organisme voudrait éventuellement devenir un site d'injection supervisée.

Mme Vadlamudy redoute la portion des règles qui exigent la consultation de la communauté. Elle se dit consciente que le travail de Cactus suscite de l'incompréhension et des inquiétudes.

«Il est très difficile de rallier tout le monde», a-t-elle dit. Le sujet est controversé et ne fait pas l'unanimité, un peu comme l'avortement, remarque-t-elle. «Mais le travail de ces organismes sauve des vies», dit-elle.

Le projet de loi déposé jeudi par Mme Aglukkaq est en réponse à la décision de 2011 de la Cour suprême du Canada qui a demandé à Ottawa de cesser d'interférer avec le centre d'injection Insite de Vancouver.

Le plus haut tribunal du pays avait alors déterminé que la décision du gouvernement de ne plus exempter les centres de poursuites criminelles est arbitraire et viole les droits à la vie et à la sécurité des toxicomanes prévus par la Charte canadienne des droits et libertés.

La Cour a donc ordonné au gouvernement d'accorder à Insite l'exemption nécessaire pour mettre son personnel et ses usagers à l'abri d'arrestations.

La Cour suprême se trouvait aussi à donner le feu vert à différents organismes d'en ouvrir ailleurs.

Les villes de Québec, Toronto et Victoria avaient dans le passé fait part de leur intérêt pour l'ouverture de tels centres d'injection supervisée.

Mais ces sites n'ont pas la faveur des conservateurs. C'est pourquoi ils avaient initialement refusé à Insite l'exemption nécessaire.

Le gouvernement a relevé que la Cour suprême mentionnait les consultations du public et il en a fait l'une des exigences du projet de loi, qui s'intitule «Loi sur le respect des collectivités», dont le titre évacue toute référence aux sites d'injection et à leurs utilisateurs.

«Le projet de loi respecte la décision de la Cour suprême», a répété Mme Aglukkaq à maintes reprises en point de presse et en entrevue téléphonique par la suite.

Mais quant à savoir si un seul groupe pourrait faire échouer le projet d'ouvrir un site, Mme Aglukkaq a d'abord répondu que le niveau d'approbation requis était cohérent avec la décision de la Cour suprême, pour ensuite dire qu'«il est difficile de répondre, nous devons considérer toutes les preuves».

Les partisans de la clinique Insite sont plutôt d'avis que la présence de la clinique a réduit le nombre de décès causés par une surdose de drogue et a de plus créé des liens entre ceux qui consomment des drogues et des services sociaux qui peuvent les aider.