Deux des plus importantes sociétés pétrolières au Canada, Suncor et Ultramar, sont parmi les entreprises qui sont exclues des appels d'offres fédéraux en raison d'une politique adoptée discrètement par le gouvernement Harper l'automne dernier. Cette politique vise les entreprises coupables de collusion qui collaborent avec la justice.

Depuis octobre 2010, le ministère des Travaux publics n'accorde plus de contrats aux entreprises reconnues coupables d'infractions de corruption, de collusion, de truquage des soumissions et d'activités anticoncurrentielles. Jusqu'en novembre dernier, on accordait une exception aux entreprises qui collaborent avec la justice. Plus maintenant.

Ce changement semble subtil, mais il a eu un impact majeur pour deux des plus importantes sociétés pétrolières actives au Canada, Ultramar et Suncor. Ces entreprises sont désormais exclues des appels d'offres du ministère des Travaux publics, à moins que des «circonstances exceptionnelles» justifient qu'on leur accorde un contrat.

En juin 2008, Ultramar a accepté de payer une amende de 1,85 million pour son rôle dans le cartel de l'essence mis au jour par le Bureau de la concurrence dans les villes de Victoriaville, Thetford Mines, Sherbrooke et Magog. En avril 2012, Suncor a admis avoir participé à un stratagème semblable à Belleville, en Ontario. Elle a été condamnée à une amende de 500 000$.

Clémence

Les deux entreprises ont collaboré aux enquêtes du Bureau de la concurrence, ce qui leur a permis de profiter du programme de clémence.

«En raison des répercussions négatives sur l'économie des activités anticoncurrentielles, la participation à un programme officiel de clémence ne constituera plus un motif d'exemption aux dispositions relatives à l'intégrité», écrit le Ministère dans une lettre à Ultramar, datée du 14 novembre 2012, que La Presse a obtenue grâce à la Loi sur l'accès à l'information.

Suncor se voit administrer le même traitement. En réponse à nos questions, Travaux publics indique que «Suncor n'a reçu aucun nouveau contrat ou offre à commandes depuis novembre 2012».

Le Ministère continuera d'honorer les contrats qu'elle a conclus avec les entreprises visées avant novembre.

Ultramar a néanmoins pu décrocher un contrat fédéral en vertu de «circonstances exceptionnelles» en Basse-Côte-Nord plus tôt cette année. Ces «circonstances exceptionnelles» sont que l'entreprise est le seul distributeur de carburant dans cette région, a indiqué le Ministère.

À ce jour, 33 personnes et 7 entreprises ont soit plaidé coupable ou été reconnues coupables dans la foulée de l'enquête du Bureau de la concurrence sur le cartel de l'essence au Québec.

Les Pétroles Therrien, Les Pétroles Cadrin et Philippe Gosselin et Associés ont également été mises à l'amende. Aucune de ces entreprises n'a obtenu de contrats fédéraux depuis novembre 2012, selon nos recherches.

Litige avec Irving

D'autres stations-services exploitées sous différentes bannières - Shell, Olco, Sonic, Esso, Irving, Couche-Tard, Petro-Canada - ont été épinglées dans le cartel. Mais comme il s'agit de détaillants indépendants, les bannières ne sont pas exclues des marchés publics fédéraux.

La société Irving fait face à trois accusations de complot pour son rôle dans le cartel québécois. Si elle est reconnue coupable, elle pourrait être barrée des marchés publics fédéraux à son tour.

Cette approche a été critiquée dans la métropole, notamment parce qu'elle risque de dissuader les entreprises de collaborer à des enquêtes.

Robert Clark, professeur d'économie appliquée à HEC Montréal, estime que sans «bonbons» pour les entreprises qui collaborent avec la justice, les enquêtes sur la collusion seront beaucoup plus difficiles à conclure.

Le Bloc québécois abonde dans le même sens. Le député André Bellavance estime que les entreprises qui participent à des stratagèmes de fixation des prix doivent être exclues des appels d'offres fédéraux. Il craint toutefois que la nouvelle politique prive les enquêteurs chargés de débusquer des stratagèmes de collusion d'outils précieux.

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Ultramar accepte la décision d'Ottawa

OTTAWA - La société Ultramar se plie à la décision d'Ottawa de l'exclure des marchés publics fédéraux. «C'est la prérogative des gouvernements d'adopter des mesures qu'ils jugent appropriées et c'est la responsabilité des entreprises de s'y conformer», a indiqué le porte-parole de la société, Michel Martin.

Au moment de plaider coupable, la loi ne permettait pas à Ultramar de se qualifier pour le programme de clémence. L'entreprise a obtenu ce traitement par la suite. C'est pourquoi la possibilité d'être exclu des marchés publics fédéraux n'a pas joué dans sa décision de collaborer à l'enquête à l'époque, a indiqué M. Martin.

Les marchés publics ne constituaient pas une part importante du chiffre d'affaires d'Ultramar.De son côté, Suncor a indiqué dans un courriel: «Il n'y a aucun impact matériel sur les activités de Suncor en conséquence de la politique.»