Le piètre état des pénitenciers fédéraux pose des risques «importants et imminents» à la santé et à la sécurité des détenus, des employés et des visiteurs, conclut un rapport du Service correctionnel du Canada (SCC) qui date de septembre dernier.

Ce «Plan de logement 2013-2018», obtenu par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, établit les prévisions en matière de population et d'infrastructures carcérales.

Ainsi, le SCC y prévoit que malgré le plan du gouvernement de construire 2700 nouvelles cellules au cours des prochaines années, il manquera 330 cellules d'ici six ans (2018-2019) et 767 d'ici sept ans (2019-2020). Les pénitenciers fédéraux accueillent les délinquants condamnés à une peine de plus de deux ans.

Service correctionnel y lance aussi un véritable cri d'alarme au sujet de l'état des infrastructures. «Beaucoup d'installations du SCC ont été construites dans les années 60 et 70, a-t-on écrit. Ces installations ont, de manière générale, atteint leur limite en ce qui a trait aux travaux de restauration.»

«Le risque et les implications d'une défaillance grave de l'infrastructure physique, dangereuse pour la sécurité des personnes et des installations, les activités et la santé des occupants, sont importants et imminents», ont conclu les auteurs, sans indiquer où ni quels sont ces problèmes.

«Piètre état»

Le rapport souligne que près de 1 milliard de dollars sur les 7 milliards que vaudrait l'ensemble des infrastructures de SCC est dans un état qualifié de «piètre» ou de «critique». Plus de 2,5 milliards de dollars de cette «valeur de remplacement» serait dans un état passable.

Le dernier paragraphe a été censuré. On ignore donc quelles sont les conclusions ou les recommandations de l'organisme chargé de superviser les pénitenciers canadiens. Et SCC a refusé nos demandes d'entrevue.

Mais ces conclusions ne font pas de doute, estime Justin Piché, un criminologue de l'Université d'Ottawa qui se spécialise dans le domaine carcéral. «Malgré le fait que le gouvernement Harper dit qu'il ne va pas ou qu'il ne veut pas construire de nouvelles prisons, Service correctionnel du Canada présente les arguments pour le faire», a indiqué le professeur.

En 2007, un rapport indépendant commandé par le gouvernement Harper recommandait justement de cesser d'investir de l'argent dans la rénovation d'établissements existants pour plutôt construire de nouveaux supercomplexes carcéraux.

«Ce n'est pas mort dans mon esprit, a noté Patrick Altimas, directeur de l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec. On pourrait penser qu'il y a une tentative de dire: on est au bout du rouleau, il faut regarder de nouvelles façons de faire.»

Occupation double

Des experts ont toutefois fait une mise en garde contre ce qui pourrait aussi être une manoeuvre de SCC visant à obtenir un budget plus important. En plus de l'augmentation de la population carcérale, le rapport fait état d'établissements de moins en moins outillés pour répondre à une population carcérale de plus en plus complexe et de compressions budgétaires de plus de 1,5 milliard imposées au Service au cours des dernières années.

«Par conséquent, le SCC a révisé son plan de logement et les activités principales sont les suivantes: [...] Utilisation de la double occupation au besoin», souligne le document.

On précise également que «les taux d'octroi de la libération conditionnelle sont à leur plus bas niveau depuis 10 ans. Si ces taux continuent de baisser, les délinquants resteront incarcérés plus longtemps, ce qui fera accroître la population carcérale».

«C'est inquiétant», a convenu Patrick Altimas. Mais selon lui, on ne devrait pas laisser l'arbre cacher la forêt, et c'est toute l'approche du gouvernement qui devrait être remise en cause. «Si on libérait davantage de personnes en temps opportun, on aurait moins d'occupation cellulaire double et on aurait moins d'inquiétudes par rapport aux infrastructures qui sont déjà en place», a dit le directeur de l'ASRSQ.

- Avec William Leclerc