Stephen Harper a dû composer avec une mutinerie, mardi, lorsque des députés associés à la droite morale du Parti conservateur se sont plaints d'être muselés par le bureau du premier ministre.

Dans un geste rarissime, le député conservateur Mark Warawa s'est adressé au président de la Chambre des communes, affirmant que son privilège parlementaire a été lésé par son propre parti.

La semaine dernière, il devait se lever avant la période de questions pour faire une déclaration. Il souhaitait promouvoir une motion, présentée l'automne dernier, qui vise à faire condamner l'avortement sélectif pour empêcher la naissance d'une fille.

Il n'a jamais pu prendre la parole. À un quart d'heure d'avis, on l'a informé qu'il ne pourrait prononcer sa déclaration.

«La raison qu'on m'a donnée est que le sujet n'était pas approuvé», a-t-il déclaré à la Chambre.

Le député, qui représente la circonscription de Langley, en Colombie-Britannique, n'est pas le seul député d'arrière-ban à se plaindre d'être muselé par l'entourage du premier ministre.

«Mes droits ont été bafoués lorsqu'est venu le temps de représenter mes commettants sur certains dossiers et je ne crois tout simplement pas que ce soit approprié», a déclaré le député albertain Leon Benoit.

La semaine dernière, un sous-comité de la Chambre des communes a jugé que la motion du député Warawa ne pourra être soumise à un vote. Des députés conservateurs se sont ligués avec des membres de l'opposition pour en arriver à ce verdict.

M. Warawa souhaite en appeler de cette décision, qui en a choqué plusieurs dans le caucus conservateur.

Les députés issus du Parti réformiste - notamment M. Benoit - ont été très critiques de la décision du sous-comité. Le défunt parti de Preston Manning valorisait au plus haut point la liberté de parole des députés.

«Ce qui se passe est très sérieux», a confié un député albertain sous couvert de l'anonymat.

Cet élu estime que ce débat va au-delà du débat sur le droit à l'avortement. Il y voit une entrave à la capacité des élus d'exprimer le point de vue de leurs commettants à la Chambre des communes.

«Il doit y avoir un équilibre entre la liberté d'expression des députés et la discipline que cherche à imposer le bureau du premier ministre, a indiqué ce député. En ce moment, nous n'avons pas cet équilibre.»

Le député de Kitchener-Centre, Stephen Woodworth, est de ceux qui sont mal à l'aise avec la décision du sous-comité parlementaire de clore le débat sur la motion de son collègue Mark Warawa.

M. Woodworth a parrainé la motion M-312, qui aurait forcé la création d'un comité visant à déterminer si le foetus doit être considéré comme un être humain. Cette motion a été battue aux Communes, mais une majorité de députés conservateurs - 87 sur 165 - l'ont appuyée. Parmi ceux-ci, on compte la ministre de la Consition féminine, Rona Ambrose.

«La seule chose que je crains, c'est que cette philosophie ait gagné le sous-comité, selon laquelle l'avortement est perçu comme plus important que la discrimination selon le sexe ou plus important que le droit du Parlement de s'exprimer sur certaines questions, a indiqué M. Woodworth à La Presse. Je crois que ce serait malheureux parce que c'est une philosophie fondamentalement antidémocratique.»

Lundi, une vingtaine de députés se sont réunis pour discuter des suites de cette décision, perçue comme une atteinte à la liberté d'expression des élus.

La sortie de Mark Warawa survient 24 heures avant la réunion du caucus des députés conservateurs.

Harper refuse de rouvrir le débat

Le premier ministre Harper a toujours refusé de rouvrir le débat explosif sur l'avortement, même si plusieurs membres de son caucus le réclament activement depuis des années. Il a voté contre la motion d'un député Woodworth, l'automne dernier.

«Nous avons toujours été clairs que nous ne souhaitons pas rouvrir ce débat», a indiqué le porte-parole du premier ministre, Carl Vallée.

En réponse aux doléances de M. Warawa, le whip en chef du gouvernement Harper, Gordon O'Connor, a fait valoir que c'est aux partis politiques de décider lesquels de leurs membres peuvent prendre la parole lors des déclarations des députés. Il estime que le président de la Chambre des communes n'a pas à se mêler de cette pratique.

«Le député de Langley vous demande de vous pencher sur la question à savoir comment ces listes sont préparées par les partis siégeant à la Chambre, ce qui équivaut à vous inviter à vous mêler du processus interne des caucus des partis et de leur direction», a argué M. O'Connor.

L'opposition se régale

Les partis de l'opposition se sont délectés de la dissension au sein du Parti conservateur.

«Nous avons eu vent d'une frustration croissante dans les corridors du Parlement de la part de députés conservateurs au sujet de la nature contrôlante du bureau du premier ministre, a affirmé le leader parlementaire du Nouveau Parti démocratique, Nathan Cullen. Il y a peut-être une liste de sujets tabous dont le premier ministre ne veut pas discuter.»

«Peut-être que si ces députés mécontents s'étaient déguisés en pandas, le premier ministre leur aurait accordé de l'attention», a raillé le chef libéral, Bob Rae.