La surreprésentation des Autochtones dans les prisons fédérales ne semble pas émouvoir le premier ministre Stephen Harper. Son nouveau ministre des Affaires autochtones, quant à lui, se lave les mains du dossier.

Jeudi matin, l'Enquêteur correctionnel du Canada a déposé un rapport très critique de la situation. Reprochant à Ottawa de ne pas offrir suffisamment de programmes adaptés aux prisonniers autochtones tel que le prévoit une loi vieille de 20 ans - la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition -, Howard Sapers a réclamé un sous-commissaire des services correctionnels pour les Autochtones et il a cité des statistiques inquiétantes.

Même si les Autochtones ne représentent que quatre pour cent de la population canadienne, ils composent 23 % de la population carcérale. Au cours des cinq dernières années, leur nombre a augmenté de 43 %.

«Lorsqu'on regarde les résultats 20 ans après que les articles 81 et 84 soient devenus loi, on constate que les détenus autochtones continuent à passer une plus grande partie de leur sentence derrière les barreaux et ils le font dans des conditions plus contraignantes que les détenus non autochtones», a dit M. Sapers en conférence de presse après avoir déposé son rapport.

Aux Communes, quelques heures plus tard, le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Thomas Mulcair, a accusé le premier ministre Harper de ne pas prendre la crise au sérieux.

«C'est important de noter que des prisonniers sont des gens qui ont été déterminés coupables d'actes criminels par des cours indépendantes et c'est essentiel que la société agisse», a répondu M. Harper.

«Les Autochtones sont malheureusement plus souvent victimes de crimes violents que les autres Canadiens. C'est la raison pour laquelle (...) nous prenons au sérieux notre responsabilité de protéger la société canadienne», a-t-il conclu.

À sa sortie des Communes, le ministre Bernard Valcourt, nouvellement nommé aux Affaires autochtones et au Développement du Nord canadien, ne voyait pas pourquoi il commenterait le rapport de l'Enquêteur correctionnel.

Il a renvoyé le dossier chez son collègue responsable de la Sécurité publique, faisant valoir que «c'est pas de quoi qui est sous ma juridiction».

Concernant les données sur le nombre d'Autochtones en prison, il a lancé: «Je ne peux pas expliquer ça, je ne suis pas devin.»

Le ministre Valcourt a tout de même fini par exprimer des inquiétudes, mais à propos des victimes de ces prisonniers autochtones.

«Les statistiques démontrent qu'il y a plus de ces gens-là qui sont incarcérés que d'autres, puis que ça augmente. Moi, tout de suite, ce que je pense, c'est que ça fait des victimes», a-t-il dit.

La réaction plutôt tiède du gouvernement contraste avec les hauts cris des organismes de défense des droits de la personne.

L'Association des libertés civiles de Colombie-Britannique a émis un communiqué pour souligner que le rapport Sapers est la preuve que le service correctionnel canadien est «raciste».

À la Commission canadienne des droits de la personne, le président par interim, David Langtry, s'est lui aussi exprimé par communiqué. «Les problèmes que relève le Bureau de l'enquêteur correctionnel dans son rapport spécial au Parlement sont à la fois sérieux et troublants», a écrit M. Langtry.

Le ton est plus calme chez les représentants autochtones.

Le chef national de l'Assemblée des Premières Nations, Shawn Atleo, a rappelé que la solution au problème est de dépenser davantage sur l'éducation dans les communautés autochtones.

«Nous devons travailler ensemble pour augmenter le nombre de diplômes d'études secondaires et postsecondaires. C'est la meilleure façon de garder nos jeunes loin du système de justice et des prisons», a commenté M. Atleo.

Invité à qualifier la réaction du premier ministre au rapport, le député néo-démocrate Roméo Saganash a souri.

«Il ne faut pas lui en vouloir tant que ça parce qu'il ne connaît pas le dossier», a-t-il dit en quittant le Parlement.

«Ça démontre une chose évidente: ça en prend encore beaucoup plus des rencontres entre les chefs autochtones et le premier ministre du Canada», a-t-il conseillé.

On attend toujours la deuxième rencontre entre M. Harper et le leadership autochtone, rencontre promise par le bureau du premier ministre en janvier dernier.