Les principaux ministres du gouvernement Harper comptent les jours avant le départ du directeur parlementaire du budget, Kevin Page. Mais l'homme qui a mis en lumière les projections défaillantes des conservateurs dans plusieurs dossiers est devenu un véritable héros pour les contribuables canadiens, au même titre que l'ancienne vérificatrice générale Sheila Fraser.

Le mandat de cinq ans de Kevin Page prend fin le 25 mars. «Alors que le mandat du premier directeur parlementaire du budget tire à sa fin, plusieurs personnes au sein du gouvernement et du caucus conservateur poussent un soupir de soulagement», affirme le député conservateur de l'Alberta Brent Rathgeber dans son blogue.

Il ajoute toutefois que M. Page a été un «haut fonctionnaire dévoué» et qu'il a tenté de remplir du mieux qu'il a pu les fonctions qu'on lui a confiées. Mais M. Rathgeber est l'un des rares conservateurs à avoir une réaction aussi mesurée.

Le ministre des Finances, Jim Flaherty, le président du Conseil du Trésor, Tony Clement, et le ministre des Affaires étrangères, John Baird, n'ont pas été tendres envers M. Page. Ils l'ont souvent accusé d'outrepasser son mandat, de ne rien comprendre à la machine gouvernementale ou de faire carrément de mauvais calculs.

M. Page compte pourtant sur une longue carrière de 27 ans dans la fonction publique, dont plusieurs années au ministère des Finances.

Le choix du prochain directeur parlementaire du budget, poste créé par Harper en 2008 pour s'assurer que le fédéral donne l'heure juste sur les finances de l'État, sera déterminant.

En effet, si le successeur de M. Page se montre plus docile envers le gouvernement afin d'éviter la controverse, le bureau du Directeur parlementaire du budget pourrait perdre une partie de la crédibilité. Plusieurs employés actuels du bureau tiennent mordicus à leur indépendance, à l'instar de Kevin Page. Ils pourraient donc aussi quitter la barque.

«Le choix de mon successeur sera très important pour l'avenir de ce bureau», a affirmé M. Page dans une entrevue accordée à La Presse.

Selon plusieurs observateurs, le bureau du Directeur parlementaire du budget est devenu un des piliers de la démocratie canadienne. En plus de forcer le gouvernement à rendre des comptes sur ses politiques et ses projections de dépenses, le bureau a permis aux députés de mieux comprendre les enjeux liés à leurs fonctions et de redoubler de vigilance avant de voter en faveur des dépenses annuelles du gouvernement.

Le Nouveau Parti démocratique et le Parti libéral ont souvent dû se porter à la défense de M. Page et de l'institution qu'il a construite. Son bureau compte actuellement une équipe d'une dizaine de personnes, issues en grande majorité du ministère des Finances.

M. Page a croisé le fer avec le gouvernement conservateur pour la première fois en novembre 2008. Dans son premier rapport au Parlement, M. Page soutenait que le gouvernement fédéral s'apprêtait à renouer avec les déficits en raison de la crise économique mondiale. Une semaine plus tard, le ministre des Finances, Jim Flaherty, faisait une mise à jour économique à l'eau de rose, dans laquelle il prévoyait de légers surplus.

Le temps a donné raison à M. Page. Le gouvernement Harper nage depuis dans l'encre rouge et prévoit rétablir l'équilibre budgétaire en 2015.

D'autres études du Directeur parlementaire du budget ont aussi provoqué la grogne des conservateurs. M. Page a été le premier à évaluer les coûts relatifs à la mission en Afghanistan (dévoilés en pleine campagne électorale en septembre 2008), à affirmer que le gouvernement Harper sous-estimait les coûts liés à l'achat et à l'entretien des avions F-35 et à soutenir que le ministre Flaherty avait créé un déficit structurel.

«Après le rapport sur les déficits et les coûts de la mission en Afghanistan, le gouvernement s'est aperçu qu'il avait créé quelque chose qu'il ne souhaitait pas avoir», a dit M. Page.

Bataille juridique

Kevin Page mène actuellement une bataille devant les tribunaux pour obtenir du gouvernement Harper les détails des compressions qu'il veut imposer à chacun des ministères, pour en évaluer les conséquences sur les services.

La réputation de M. Page dépasse les limites de la capitale nationale. Son bureau reçoit quotidiennement des demandes d'information de la part de citoyens ordinaires.

«Nous sommes totalement apolitiques. Je crois que la qualité de notre travail parle d'elle-même», a dit M. Page.

Des provinces comme le Québec et la Colombie-Britannique jonglent avec l'idée de créer un poste de directeur parlementaire du budget. Malgré les bras de fer entre le gouvernement Harper et M. Page, l'utilité d'un tel bureau est devenue incontestable.