La rencontre entre Stephen Harper et les leaders des Premières Nations faisait face à un échec avant même d'avoir eu lieu, hier soir, alors que plusieurs chefs autochtones ont décidé de boycotter le sommet en raison de l'absence du chef de l'État canadien, le gouverneur-général David Johnston.

L'émotion était à fleur de peau dans un hôtel du centre-ville d'Ottawa, hier soir, où s'étaient réunis des dizaines de chefs venus de partout au Canada. Dans une atmosphère tendue, ils avaient passé la journée à préparer la rencontre décrétée à la hâte par le premier ministre dans la foulée du mouvement Idle No More.

Au coeur des débats se trouve - encore - la chef d'Attawapiskat, Theresa Spence, dont la grève de la faim a catalysé le mouvement de contestation autochtone au cours des dernières semaines. C'est cette action qui a amené le premier ministre à convoquer une rencontre avec les leaders des Premières Nations, puis de la devancer à aujourd'hui.

Mme Spence a fait savoir mercredi qu'elle ne participera pas à la rencontre en raison de l'absence du gouverneur général. Bien que son rôle soit symbolique, celui-ci représente les intérêts de la Couronne, signataire des traités avec les Premières Nations au XIXe siècle.

Hier, M. Harper a demandé à M. Jonhston d'organiser une cérémonie protocolaire au terme du sommet. Mais cette solution n'a manifestement pas satisfait la chef d'Attawapiskat. Et plusieurs chefs lui ont emboîté le pas.

«Certains chefs disent qu'on est solidaires avec la chef Spence, à l'effet que les deux doivent être présents au même endroit, au même moment, explique Ghislain Picard, qui dirige l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador. Mais ça vaut aussi pour d'autres, qui se disent solidaires avec la chef Spence, mais disent qu'il faut quand même procéder à la rencontre.»

L'Assemblée des Premières Nations (APN), qui regroupe des chefs autochtones de partout au pays, a entrepris des démarches auprès du gouvernement Harper pour obtenir la participation de M. Johnston à la rencontre.

En fin de soirée, le flou persistait sur la tenue de la rencontre d'aujourd'hui. La chef régionale de la Colombie-Britannique, Jody Wilson-Raybould, a assuré que la rencontre aurait lieu comme prévu. Mais la direction de l'APN n'a pas été en mesure de le confirmer. L'organisme doit faire le point ce matin.

Le jeu du gouvernement

Devant des centaines de leaders autochtones, le chef de l'APN, Shawn Atleo, a lancé un appel à l'unité. La division des Premières Nations fait le jeu du gouvernement, a-t-il fait valoir.

M. Atleo a martelé que, dans la foulée du mouvement Idle No More, la relation entre le Canada et les Premières Nations est à la croisée des chemins. Il a appelé les leaders autochtones à se montrer à la hauteur des attentes de leur peuple.

«Je ne viens pas d'un territoire où nous avons des chevaux, mais je peux vous dire que le cheval a quitté l'écurie et qu'il n'y a pas de retour en arrière, a-t-il déclaré. Ce pays sera à jamais changé par ce qui se passe.»

Mais plusieurs souhaitent qu'il se joigne au mouvement de boycottage.

Quoi qu'il advienne de la rencontre d'aujourd'hui, des centaines, voire des milliers de manifestants autochtones sont attendus à Ottawa.

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«Notre détermination est absolue», dit Atleo

OTTAWA - Les relations entre le Canada et ses premières Nations sont à la croisée des chemins, affirme le chef national Shawn Atleo, qui prédit que la mobilisation sans précédent des peuples autochtones s'accentuera si la rencontre d'aujourd'hui avec le premier ministre Stephen Harper ne produit pas de résultats tangibles.

«Des générations de nos leaders ont transmis le même message à des gouvernements fédéraux successifs depuis un siècle. Le gouvernement doit comprendre que notre détermination est absolue», a lancé le chef de l'Assemblée des Premières Nations sur un ton qui trahissait sa colère et sa frustration.

M. Atleo a présenté hier ses attentes à la veille de la rencontre cruciale pour la suite des choses avec M. Harper et certains de ses ministres.

D'abord, il tient à l'adoption d'une nouvelle formule de partage des revenus provenant de l'exploitation des ressources naturelles situées près des réserves autochtones.

Ensuite, il réclame une hausse des investissements fédéraux en éducation, en particulier la construction de nouvelles écoles dans les réserves qui attendent depuis des années.

En dernier point, il demande un mécanisme de consultation permanent entre le gouvernement et les Premières Nations, en particulier lorsqu'il s'agit d'adopter de nouvelles lois qui ont un impact sur les droits des autochtones. À cet égard, il réclame l'abolition des clauses des projets de loi «mammouths» C-38 et C-45 visant à mettre en oeuvre le dernier budget fédéral.

Obligation de résultats

Des clauses de ces lois réduisent le nombre d'évaluations environnementales pour les projets d'exploitation des ressources naturelles et mettent fin à l'obligation fédérale de protéger de nombreux lacs. Elles modifient également la manière dont les réserves autochtones peuvent disposer de leurs terres. Selon le chef Shawn Atleo, la rencontre doit déboucher sur des avancées concrètes. Sans quoi le mouvement de contestation Idle No More prendra de l'ampleur au pays.

Joël-Denis Bellavance et Martin Croteau