Le gouvernement Harper comprend mal le monde du travail québécois, a affirmé la ministre du Travail, Agnès Maltais, après qu'Ottawa eut adopté un projet de loi controversé qui forcera les syndicats à dévoiler une série de données financières.

«Il y a peut-être une reconnaissance de la nation québécoise, mais il y a une méconnaissance des relations du travail au Québec», a dénoncé Mme Maltais dans une entrevue accordée à La Presse.

Mme Maltais a écrit à son homologue fédérale, Lisa Raitt, cette semaine, pour lui demander de surseoir à la mise en oeuvre de cette initiative, parrainée par le député conservateur Russ Hiebert.

Le projet de loi, adopté par la Chambre des communes mercredi soir, obligera les syndicats à déclarer les salaires de leurs employés ainsi que toute dépense de plus de 5000$. Dans chaque cas, ils devront déclarer le nom du bénéficiaire.

La ministre Maltais fait valoir que la mesure va créer un «déséquilibre sérieux» entre syndicats et employeurs. En outre, les premiers seront forcés de dévoiler publiquement les fonds qu'ils mettent de côté en cas de grève ou de lock-out.

Les constitutionnalistes qu'a consultés la ministre estiment que le projet de loi empiète sur le champ de compétence des provinces. Elle ignore toutefois si Québec va s'adresser aux tribunaux pour contester la loi.

Ottawa dans son droit, dit Bernier

Le ministre d'État de la Petite Entreprise et du Tourisme, Maxime Bernier, a cependant maintenu qu'Ottawa agit dans sa sphère de compétence. La loi amende en effet la Loi sur l'impôt du Canada et n'a donc rien à voir avec les pouvoirs des provinces.

Il est également en désaccord avec l'argument de Mme Maltais, selon lequel la loi provoquera un déséquilibre dans les relations du travail.

M. Bernier martèle que les syndicats bénéficient d'avantages fiscaux «extraordinaires» puisque les contributions des travailleurs sont déductibles de leur revenu imposable. C'est pourquoi le public est en droit de savoir ce qu'il advient de ces cotisations, argue-t-il.

«C'est important que les Canadiens sachent ce que les syndicats font avec les cotisations qu'ils perçoivent de leurs membres et, surtout, pour les membres aussi, savoir où va leur argent, a-t-il déclaré. C'est une question de transparence fondamentale et je m'explique mal pourquoi les dirigeants syndicaux s'insurgent contre ce projet de loi.»

Le ministre Bernier s'est trouvé des alliés à Québec. La Coalition avenir Québec, le deuxième parti d'opposition à l'Assemblée nationale, se dit favorable au projet de loi.

Son critique en matière de Travail, Christian Dubé, souligne que, d'après un sondage Nanos réalisé pour l'organisme LabourWatch, 83% des Canadiens sont favorables à ce que les syndicats divulguent de l'information financière publiquement.

«Il est un peu risqué pour Mme Maltais de dire que c'est la position qui rassemble l'ensemble des Québécois, a dit M. Dubé. Je ne suis pas d'accord avec ça.»

Tribunaux

Le monde syndical a vivement dénoncé le projet de loi conservateur comme un règlement de comptes politique. Il s'agit d'un «abus de pouvoir» du gouvernement conservateur, selon le président de la FTQ, Michel Arsenault. Sa centrale compte contester la mesure devant les tribunaux.

«Le but de tout ça, c'est d'affaiblir les syndicats, résume M. Arsenault. Et les sociétés où il y a peu ou pas de syndicats sont des pays où il y a peu ou pas de syndicats sont des sociétés où il n'y a pas de classe moyenne.»

Le Nouveau Parti démocratique a pour sa part souligné que le commissaire à la vie privée et l'Association du barreau canadien ont toutes deux critiqué le projet de loi lors de son étude par un comité parlementaire.

«Le NPD estime qu'il va à l'encontre de la Charte canadienne des droits et libertés et qu'il sera immanquablement invalidé devant les tribunaux puisqu'il viole la liberté d'association et la vie privée des personnes qui travaillent pour un syndicat», a pour sa part déclaré le député Alexandre Boulerice, critique de son parti en matière de Travail.