La session parlementaire qui s'est achevée jeudi à Ottawa a été marquée par une guerre de tranchées sans précédent au Parlement fédéral. Au coeur des débats, un superprojet de loi qui réforme 70 lois et règlements en plus d'avaliser le budget. Des mesures nécessaires en période d'incertitude, selon le gouvernement. La naissance d'une «dictature démocratique», selon l'opposition. Bilan d'une session houleuse, vue par les principaux partis.

Parti conservateur: «des mesures nécessaires»

L'économie mondiale traverse une période incertaine, et les réformes adoptées par le gouvernement Harper permettront au Canada de maintenir ses programmes sociaux à long terme, affirme le lieutenant du premier ministre au Québec, Christian Paradis.

Le Canada a traversé la dernière récession, mais le gouvernement doit maintenant se serrer la ceinture s'il veut garder ses finances à flot, dit le ministre de l'Industrie. L'objectif est de ne pas se retrouver dans la même situation que les États-Unis et certains pays européens, dont l'endettement menace de faire dérailler l'économie mondiale.

«Si on veut continuer de donner des services de qualité aux Canadiens, que ce soit au niveau de l'assurance emploi, au niveau des pensions de vieillesse ou autres, ça prend des réformes en profondeur», a-t-il dit en entrevue, hier.

Ottawa réduira ses dépenses de 5,2 milliards de dollars par année d'ici trois ans, un exercice qui entraînera l'abolition de 19 200 postes dans la fonction publique.

Les partis de l'opposition reprochent au gouvernement Harper d'avoir ajouté un train de réformes qui n'ont rien à voir avec le budget dans le superprojet de loi C-38. Mais ces mesures sont nécessaires, répond M. Paradis.

Par exemple, dit-il, la refonte des évaluations environnementales va accélérer l'approbation des projets miniers, gaziers et pétroliers. La mesure stimulera l'investissement à un moment où les ressources naturelles canadiennes sont recherchées.

Les retombées n'aideront pas que l'industrie des sables bitumineux de l'Alberta, fait valoir M. Paradis. Le Plan Nord au Québec devrait mener à des investissements miniers de 4,3 milliards dans la prochaine année.

«Ce qu'on veut faire, c'est faciliter les choses, donner de la certitude, mais pas au détriment de l'environnement.»

Plusieurs ont reproché au gouvernement Harper d'être indifférent au Québec, les derniers en liste étant d'anciens députés progressistes-conservateurs de l'est de la province. Mais M. Paradis jure que M. Harper est plus ouvert que jamais sur la province. Il se dit certain que plusieurs Québécois partagent ses valeurs, notamment la gestion prudente des fonds publics.

«Maintenant, c'est à nous de bien les communiquer, ça, j'en suis conscient, a-t-il convenu. On a cinq députés, il y a des sénateurs aussi, mais cet été sera une bonne opportunité d'aller échanger avec les gens sur le terrain.»

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En mai 2011, les conservateurs ont fait la démonstration qu'il était possible de remporter une élection et de former un gouvernement majoritaire sans obtenir d'appuis solide au Québec.

Nouveau Parti démocratique: «un cheval de Troie législatif»



Le gouvernement Harper a peut-être fait adopter son superprojet de loi C-38, mais sa victoire parlementaire aura un prix, estime le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Thomas Mulcair. Car les électeurs se rappelleront cette «attaque sans précédent sur les institutions parlementaires».

Le chef de l'opposition s'est félicité des efforts de son parti pour retarder l'adoption du projet de loi de 400 pages, qui modifiera près de 70 lois et règlements. Le NPD et les autres partis de l'opposition ont forcé un marathon parlementaire de 24 heures lorsqu'ils ont présenté un millier d'amendements au projet de loi.

Majoritaires aux Communes, les conservateurs ont battu les 871 amendements soumis au vote. Mais cette défaite parlementaire est une victoire aux yeux de M. Mulcair.

«On a réussi à mettre un énorme cercle autour de la tache, a-t-il déclaré. Le public canadien, les électeurs savent ce qu'ils ont tenté de faire, c'est-à-dire de passer ça en douce dans un cheval de Troie législatif et on a réussi à les démasquer.»

Sous prétexte de créer des emplois, le projet de loi C-38 avalise le «saccage» des lois environnementales, dénonce M. Mulcair. Les changements à l'assurance emploi pénaliseront les travailleurs saisonniers, dit-il, et le rehaussement de l'âge d'admissibilité à la Sécurité de la vieillesse prive des travailleurs de revenus de retraite.

Le gouvernement Harper a lancé une pelure de banane au NPD, cette semaine, en présentant une motion qui confirmait le droit du Québec d'adopter le projet de loi 78. M. Mulcair, qui s'est prononcé en faveur d'une version amendée de la proposition, estime que le stratagème prouve que le Parti conservateur est déconnecté de la province.

«Les conservateurs sont tellement gauches dès qu'ils touchent quoi que ce soit en rapport avec le Québec, on voit jusqu'à quel point ils n'ont plus aucun lien avec le Québec, aucune compréhension du Québec, aucune représentation réelle au Québec.»

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Thomas Mulcair

Parti libéral: une «dictature démocratique», prévient Rae

Le Parti conservateur transforme le gouvernement fédéral en «dictature démocratique», a dénoncé hier le chef du Parti libéral, Bob Rae.

M. Rae n'a pas mâché ses mots pour dénoncer les réformes mises de l'avant par le gouvernement Harper, ni sur la manière de les avaliser. Il montre du doigt le superprojet de loi C-38 sur le budget, adopté sous le bâillon, et qui avalise un train de mesures n'ayant justement rien à voir avec le budget.

«Nous avons maintenant ce que j'appellerais une dictature démocratique, a-t-il déclaré. On donne des pouvoirs à un gouvernement majoritaire, mais ils sont en train d'abuser de ces pouvoirs.»

Le chef par intérim a dénoncé une série d'«abus» qui ont marqué la politique fédérale au cours des derniers mois. Il cite en exemple le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, qui a menacé de recourir aux tribunaux pour obtenir des informations sur les compressions annoncées dans le budget. Il dénonce aussi la campagne menée par les conservateurs contre les groupes écologistes, qualifiés de «radicaux», qui se sont vu retirer le statut d'organisme charitable pour éviter que des dons ne financent leurs activités politiques.

«Ce n'est pas seulement une question de style, c'est une attitude profonde envers les autres gens, les autres opinions, qui est profondément malsaine, a dit M. Rae. Et les Canadiens devraient s'en préoccuper.»

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Bob Rae

Bloc québécois: l'«arrogance» à son comble

Le projet de loi C-38 sur le budget est une nouvelle preuve de l'«arrogance» du gouvernement Harper à l'égard du Québec, estime le chef du Bloc québécois, Daniel Paillé. Les conservateurs avaient déjà irrité les Québécois en abolissant le registre des armes à feu et en nommant un anglophone unilingue comme vérificateur général et en multipliant les références à la monarchie britannique, dit-il. Le superprojet de loi en rajoute. Selon lui, les travailleurs saisonniers en région seront pénalisés par la réforme de l'assurance emploi. Il reproche aussi au gouvernement Harper d'avoir abandonné les 1800 travailleurs montréalais d'Aveos après la fermeture brutale de leur usine. «Je suis sûr que ni les Américains ni les Français n'auraient laissé tomber Seattle ou Toulouse, mais au Canada, on laisse tomber Montréal.»





Photo Ivanoh Demers, La Presse

Daniel Paillé

Un premier ministre trop puissant, dénonce May

L'adoption du superprojet de loi C-38 prouve que le premier ministre dispose de trop de pouvoirs, dénonce la chef du Parti vert, Elizabeth May. «C'est une tendance dangereuse pour la démocratie au Canada», a-t-elle dit hier. Elle rappelle qu'un député conservateur de la Colombie-Britannique, David Wilks, a admis à ses concitoyens son malaise devant le recours à un projet de loi de 400 pages pour avaliser une montagne de réformes. Mme May, unique représentante de son parti aux Communes, se dit convaincue que ce cas n'est pas isolé. La chef du Parti vert a vigoureusement combattu l'omnibus des conservateurs, au cours des dernières semaines, en utilisant ses pouvoirs de députée indépendante pour proposer un train d'amendements.

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Elizabeth May