Après près de 24 heures à se lever et s'asseoir pour voter sur le projet de loi budgétaire du gouvernement fédéral, il ne fait nul doute que les députés conservateurs sont fatigués.

Les députés du gouvernement Harper et les ministres craignent également, en privé, qu'ils ne sortent de l'affrontement autour du projet de loi C-38 en ayant épuisé une partie de leur capital politique.

Des conversations anonymes menées avec des membres du caucus conservateur portent à croire que les députés reçoivent des plaintes d'électeurs conservateurs de leurs circonscriptions à propos du rassemblement de plusieurs mesures dans un projet de loi budgétaire, alors que bon nombre de ces mesures n'ont aucun lien direct avec les finances nationales.

Ces plaintes pourraient reprendre dans quelques mois.

Maintenant que le projet de loi budgétaire printanier du gouvernement a franchi une étape de plus en vue de recevoir la sanction royale, les troupes conservatrices vont s'interroger à savoir si elles doivent utiliser la même stratégie omnibus à l'automne lorsque viendra le temps de déposer le traditionnel projet de loi de mise en oeuvre du budget.

Les projets de loi budgétaires des conservateurs ont gagné en taille et grosseur de champ d'application depuis que Stephen Harper est devenu premier ministre en 2006. Si la tendance se maintient, ce projet de loi pourrait donc être encore plus imposant que celui ayant été le sujet d'un débat-marathon aux Communes cette semaine.

Du moins, c'est ce qui aurait pu se produire.

Les réactions négatives du caucus conservateur à propos du projet de loi C-38 pourraient venir à bout du penchant du premier ministre à lier ensemble des morceaux législatifs disparates en utilisant la seule justification que toutes ces lois sont nécessaires d'un point de vue économique.

Le projet de Loi sur l'emploi, la croissance et la prospérité à long terme comporte plus de 400 pages et modifie plus de 60 lois allant des règles pour les organismes caritatifs à la supervision de l'agence canadienne de renseignements.

De nombreux opposants luttent contre les changements apportés aux évaluations environnementales, à la sécurité de la vieillesse, à l'assurance-emploi et aux règles sur la protection du poisson, et ceux-ci ne viennent pas tous des partis d'opposition, mais également des rangs conservateurs.

Des conservateurs de l'ère Mulroney et un récent ministre conservateur s'en sont pris aux changements environnementaux. Pendant ce temps, des militants conservateurs de la base ont écrit des lettres faisant part de leur frustration.

Une simple faille au sein du caucus conservateur pourrait rapidement se transformer en schisme, souligne un professeur de science politique de l'Université de Colombie-Britannique Max Cameron, et les changements environnementaux présents dans le budget pourraient bien en être le ciseau et le burin.

«Je ne peux pas croire que des 39 pour cent de Canadiens qui ont voté pour les conservateurs, il n'y en ait pas beaucoup qui tiennent à l'environnement, et ils doivent se poser des questions, a déclaré M. Cameron. Si vous commencez à voir la base elle-même se diviser, est-ce que cela augmente la pression sur des membres du caucus, et pouvez-vous imaginer une révolte du caucus?»

«Il s'agit de choses passablement dramatiques, et voilà le problème. Le leadership actuel n'est pas près à offrir l'espace au sein duquel ces choses peuvent être négociées.»

Cela est devenu évident lorsque le député conservateur David Wilks a récemment fait part de ses propres inquiétudes à propos de la façon dont le projet de loi avait été mis sur pied.

Dans des extraits publiés sur YouTube d'une récente réunion avec ses électeurs, M. Wilks a parlé de l'influence dont disposent les simples députés dans la mise sur pied des politiques gouvernementales.

«Cela inquiète certainement certains d'entre nous. Les décisions sont principalement effectuées par le cabinet et ils nous reviennent ensuite pour nous informer de la manière dont les choses vont progresser», a-t-il dit.

«Au final, toutefois, selon moi, ils ont déjà choisi.»

Le premier ministre est cependant connu pour ne pas complètement ignorer les suggestions et pour porter attention lorsque son caucus lui indique qu'une question nécessite une intervention à la base. Une vive réaction au caucus à propos du projet de loi sur la surveillance en ligne du gouvernement a propulsé celui-ci dans les oubliettes parlementaires.

La question, pour le parti, est de savoir si la fureur à propos du projet de loi C-38 est un phénomène temporaire créé par le drame du marathon de votes ou le début d'une séquence qui n'aura pas de fin heureuse pour les conservateurs.

«Le risque n'est pas que l'opposition vous fasse tomber, puisque vous avez un gouvernement majoritaire, a dit M. Cameron. Ce qui pourrait survenir, toutefois, c'est que vous vous tiriez dans le pied. Vous faites des erreurs stupides, vous gouvernez mal, vous faites des choses qui vous mettent vos propres députés à dos, vous créez un sentiment négatif dans le pays.»

Certains stratèges conservateurs estiment que la colère disparaîtra plus vite que la flamme d'une bougie sur un gâteau. L'un d'entre eux, Geoff Norquay, note que les libéraux ont tenté de mener leur campagne électorale de 2011 sur les questions liées à la gouvernance.

«Cela n'a pas très bien fonctionné pour les libéraux», a-t-il dit.

«Un an plus tard, nous en sommes au même point: le gouvernement parle d'économie et l'opposition en revient au processus, pas à la substance.»

Un autre stratège souligne toutefois que dans les cercles politiques, c'est l'ancien chef du Nouveau Parti démocratique Jack Layton qui avait lancé une pique sur l'absentéisme en Chambre au chef libéral d'alors, Michael Ignatieff, qui avait partiellement réussi à créer la vague orange lors de la campagne.

«Les conservateurs sont tout le temps accusés de "jouer pour leur base", et pour moi c'est tout ce que c'est, seulement du côté de l'opposition, à tenter de solidifier une large base instable», a dit le stratège.

De hauts responsables conservateurs garderont un oeil braqué sur le climat politique cet été, afin de voir s'ils doivent réduire leur utilisation des tactiques omnibus.

Cela ne peut pas survenir assez vite pour certains experts en science politique.

«Cela réduit la Chambre des communes à faire du bruit et à étamper des projets de loi», estime le professeur de sciences politiques Ned Franks, de l'Université Queen's, à propos de l'utilisation grandissante des projets de loi omnibus.

«Je considère ces projets de loi, la forme sous laquelle ils parviennent au Parlement et leur longueur comme un affront à la procédure et aux pratiques parlementaires», a-t-il ajouté.