Son chef a été sacré parlementaire de l'année, il a arraché une élue au Nouveau Parti démocratique (NPD), et l'un de ses députés a passé le K.-O. à un sénateur conservateur. Et pourtant, plusieurs observateurs croient toujours le Parti libéral du Canada voué à l'extinction.

Le PLC a connu une solide performance à la Chambre des communes au cours des derniers mois. Mais un an après sa défaite historique aux élections du 2 mai 2011, son avenir semble plus incertain que jamais.

«Si l'on regarde les choses froidement, une année après les élections qui ont été une véritable gifle, on n'a pas vu renaître un discours sur le fond, ni un discours sur la façon d'entreprendre une renaissance du parti au Canada», observe la politologue Antonia Maioni, de l'Université McGill.

Les libéraux ont réalisé de bons coups, au cours des derniers mois. Ils ont convaincu la députée Lise St-Denis de quitter le NPD et de se joindre à eux. Justin Trudeau a défié tous les preneurs aux livres lorsqu'il a battu le sénateur Patrick Brazeau dans un combat de boxe.

Surtout, la formation a plus d'une fois volé la vedette au NPD dans la joute parlementaire quotidienne, en profitant de l'expérience de ses députés et des distractions de la course è la direction néo-démocrate.

Ce n'est pas pour rien que le chef par intérim Bob Rae a été élu parlementaire de l'année par le magazine Maclean's, en décembre. Lorsque le gouvernement Harper a nommé un anglophone unilingue comme vérificateur général, le NPD a porté plainte au Commissariat aux langues officielles. Bob Rae, lui, a donné un point de presse enflammé en compagnie de ses 35 députés. Aux yeux de plusieurs, c'est lui qui a émergé comme le principal opposant à cette décision controversée.

«Bob Rae, avec son expérience d'homme d'État, a réussi à jouer le rôle de chef de l'opposition officielle, constate Robert Asselin, un ancien conseiller libéral qui enseigne aujourd'hui à l'Université d'Ottawa. Il y a aussi la qualité des députés: beaucoup d'élus libéraux avaient l'expérience du cabinet, ils étaient en politique depuis longtemps.»

Des chiffres têtus

Mais les chiffres sont têtus. Le «parti gouvernant naturel du Canada» est réduit à quatre députés dans l'Ouest canadien. Il n'a plus que 11 sièges en Ontario, sa base historique. Son contingent québécois a fondu de moitié, passant de 14 à 7.

«Je me suis posé la question, le 3 mai dernier: est-ce que je comprends vraiment mon pays? confie un stratège libéral. Si les gens ne voient pas, comme moi, la place du Parti libéral, c'est soit qu'on s'explique mal, soit que les choses ont changé et que je ne l'ai pas vu.»

Pire, l'élection de Thomas Mulcair à la tête du Nouveau Parti démocratique a rayé d'un trait les maigres gains réalisés par le Parti libéral du Canada (PLC) au Québec dans les derniers mois. Le NPD recueille désormais 51% des appuis dans la province, selon un sondage CROP publié dans La Presse cette semaine. Le score des libéraux: 15%, à peine mieux que les conservateurs de Stephen Harper.

Ce sondage est dévastateur pour le PLC. Car s'il y a une région du pays où il doit reprendre du galon, c'est bien au Québec, estime Robert Asselin.

«Le Québec et l'Ontario, c'est le centre de gravité de la politique canadienne, explique le professeur. Ce sont les deux provinces où il y a le plus de sièges. On ne peut pas, comme parti national, faire une croix sur l'Ouest. Mais pour être réaliste, si le Parti libéral a la moindre chance de se rebâtir et espérer former le gouvernement, ça va passer par le Québec et l'Ontario.»

Au parti, on assure que le moral des troupes est meilleur que jamais. Des vétérans comme Ralph Goodale, Stéphane Dion et Marc Garneau sont fréquemment cités dans les médias et jouent un rôle actif dans les travaux parlementaires. Mais Denis Coderre, député-vedette du caucus québécois, ne cache pas qu'il songe à changer d'air. Il ne ferme pas la porte à la possibilité de briguer la mairie de Montréal. Or, constate M. Asselin, on ne voit pas de relève poindre à l'horizon.

Autre obstacle: fort de son nouveau chef, le NPD prend sa place dans la joute parlementaire. Les néo-démocrates ont récemment utilisé leur statut d'opposition officielle pour réduire le temps de parole des libéraux dans le débat sur le budget, un croc-en-jambe qui ulcéré Bob Rae.

Renouveau

L'arrivée de M. Mulcair va certes changer la dynamique quotidienne aux Communes, convient-on chez les libéraux. Mais à long terme, le défi reste le même: le parti doit trouver un moyen de regagner le coeur des Canadiens, peu importe l'identité de ses adversaires.

«Au Parti libéral, souvent, on a seulement changé de chef sans vraiment entrer dans la machine et essayer de trouver ce qui ne marche pas», explique un stratège.

Le congrès biennal du Parti libéral a donné lieu à une petite révolution, en janvier. Les délégués ont adopté une proposition qui permettra au grand public de se prononcer sur les orientations du parti.

Le PLC va également choisir un nouveau chef d'ici à juin 2013. Au cours des derniers mois, Bob Rae a donné plusieurs indices qu'il souhaite se lancer dans la course. Mais certains doutent qu'il puisse incarner le renouveau.

«C'est un parti qui a longtemps trop misé sur l'idée d'un chef qui allait les mener à la victoire, estime Antonia Maioni. On se rend compte maintenant qu'on ne peut pas mener un parti à la victoire sans avoir un fond. Le problème du Parti libéral, c'est d'avoir un fond dans un échiquier politique canadien qui a changé.»

Certains estiment que le salut du PLC passe par une fusion avec le NPD. Au parti, on assure que cette mesure draconienne n'est pas sur le radar. Mais cette possibilité devient difficile à ignorer quand même Jean Chrétien s'en fait le promoteur.