John Gilbert Layton a porté des dizaines d'étiquettes différentes durant sa vie passée au service du public: militant, guitariste, père et, finalement, chef de l'opposition officielle.

Mais la plupart des Canadiens le connaissaient simplement par son prénom: Jack.

Aucune autre personnalité n'a autant fait les manchettes au cours de l'année 2011 que Jack Layton, faisant de lui la personnalité ayant le plus marqué l'actualité canadienne, selon le sondage annuel de La Presse Canadienne mené auprès des rédactions de tout le pays.

Avec 90 pour cent des voix, M. Layton arrive largement devant Stephen Harper, qui occupe la troisième position du palmarès, mais avec seulement cinq pour cent des voix.

«À lui seul, Jack Layton a modelé l'histoire politique du Canada en 2011, de la quasi-destruction du Bloc québécois à la marginalisation du Parti libéral, en passant par l'immense vide que son décès a laissé sur la colline parlementaire», a expliqué Brodie Fenlon, directeur de l'information chez The Huffington Post Canada.

La Presse Canadienne a aussi réalisé un sondage en parallèle auprès de la population, en collaboration avec Yahoo! Canada. Le résultat a été le même: un raz-de-marée nommé Jack Layton, avec plus de la moitié des votes. Le controversé commentateur de hockey Don Cherry arrive deuxième avec 16 pour cent des voix, suivi de Stephen Harper avec 10 pour cent, et des «indignés» avec 9,5 pour cent.

«C'est à lui que le NPD doit son statut d'opposition officielle, qui s'appuie sur son raz-de-marée au Québec et la quasi-disparition du Bloc québécois, qui a ébranlé tout le mouvement souverainiste», a estimé Josée Boileau, rédactrice en chef du quotidien Le Devoir.

«Et l'importance de Jack dans cette percée historique - plus importante même que le fait que le Parti conservateur de Stephen Harper forme maintenant un gouvernement majoritaire - est devenue encore plus évidente depuis son décès, qui a complètement fragilisé son parti.»

La marque de commerce du politicien ne s'est pas bâtie à coup d'études de marché et de groupes de discussions organisés par des professionnels des relations publiques. Elle s'est construite lentement, avec des années passées à mettre de l'avant son authenticité.

Lorsqu'il enseignait à des étudiants universitaires de Toronto, il n'hésitait pas à les inviter chez lui ou dans un pub du coin pour débattre de choses et d'autres.

En tant que conseiller municipal de Toronto, sa femme Olivia et lui enfourchaient leur tandem pour participer aux manifestations progressistes tenues dans les rues de la métropole canadienne.

Il était connu pour porter des chapeaux excentriques lors de collectes de fonds, pour ses discussions avec des ouvriers qui attendaient leur café matinal au Tim Hortons, et pour ses concerts improvisés à bord de son avion de campagne.

Dès son entrée au Nouveau Parti démocratique, il s'est révélé être un immense atout pour la formation politique, selon Vicky Smallman, une organisatrice néo-démocrate qui a d'abord rencontré Jack Layton au conseil municipal de Toronto.

«Habituellement, au sein du NPD, il y a d'un côté les experts des politiques publiques et, de l'autre, les organisateurs. Il y a souvent un conflit énorme entre les deux camps», a observé Mme Smallman. «Mais Jack a été capable de réunir ces pôles pour arriver à un très bon résultat.»

Sa combinaison parfaite de charisme et d'habileté politique a permis à la «machine NPD» d'avancer. La formation politique n'occupait que 19 sièges aux Communes lorsqu'il s'est emparé de la chefferie en 2003. Le caucus en comptait 29 en 2006, puis 37 en 2008.

Mais la magie n'a réellement opéré qu'en 2011, lorsqu'une vague orange a déboulé sur le Québec, donnant 103 sièges au parti et faisant de Jack Layton le chef de l'Opposition officielle.

«Jack Layton a réussi le tour de force de l'année en politique», a estimé Gaétan Chiasson, directeur de l'information à l'Acadie Nouvelle, à Caraquet. «Mais on retiendra surtout sa dignité face à la mort, et son message de paix et d'espoir.»

M. Layton avait révélé en 2010 qu'il souffrait d'un cancer de la prostate. Il promettait alors de lutter et de vaincre la maladie. Malgré une fracture à la hanche, il avait paru si énergique pendant la campagne électorale que son apparition télévisuelle de juillet a coupé le souffle au pays en entier. Jack Layton y apparaissait très amaigri et sa voix était rauque. Il n'était déjà que l'ombre de lui-même.

Jack Layton, comme à son habitude, jurait de poursuivre son combat. Mais il est mort le mois suivant. Il avait 61 ans.

Son décès a déclenché une véritable onde de choc au pays. L'hôtel de ville de Toronto s'est transformé en gigantesque ardoise pour les Canadiens en deuil. Lorsque la pluie effaçait les messages rédigés à la craie, des centaines d'autres mains venaient les renouveler.

«Mes amis, l'amour est 100 fois meilleur que la haine. L'espoir est meilleur que la peur. L'optimisme est meilleur que le désespoir», écrivait-il aux Canadiens, juste avant de mourir. «Alors, aimons, gardons espoir et restons optimistes. Et nous changerons le monde.»