Les gens qui font pousser quelques plants de marijuana pour leur consommation personnelle ne seraient pas dans la mire du gouvernement Harper, qui a tenté jeudi de parer aux attaques sur son projet de loi omnibus sur le crime en insistant qu'il vise d'abord avant tout les trafiquants de drogue.

Parce que son projet de loi C-10 a été critiqué, voire ridiculisé en raison des peines de prison minimales qu'il impose à ceux qui se font prendre avec aussi peu que six plants de cannabis, le ministre de la Justice Rob Nicholson a tenu à préciser qu'il vise uniquement ceux qui possèdent des plants dans le but de les vendre.

Mais selon l'opposition, de telles peines minimales ne vont servir qu'à criminaliser les jeunes qui consomment des drogues et vont les envoyer grossir les rangs des détenus dans les prisons, surtout celles gérées par les provinces.

Pourtant, le gouvernement fédéral n'a pas évalué à combien s'élèvera la facture pour les provinces qui écoperont des coûts reliés à ces détenus additionnels, a reconnu le ministre Nicholson, jeudi, le visage soudainement rouge, alors qu'il témoignait devant un comité parlementaire pour expliquer et défendre son projet de loi C-10.

Des analyses de coûts ont été faites pour le gouvernement fédéral, a-t-il indiqué. La facture sera de près de 68 millions $ sur cinq ans uniquement pour la portion sur les drogues. Mais aucune ventilation n'a été faite pour les provinces, a répondu le ministre, questionné par un député de l'opposition.

Selon le directeur parlementaire du budget Kevin Page, le gouvernement fédéral garde sciemment les provinces dans le noir quant au coût des nouvelles mesures en matière de justice criminelle qu'elles devront absorber.

M. Page affirme qu'un résumé de deux pages publié jeudi par le ministre de la Sécurité publique Vic Toews ne répond pas au besoin des parlementaires ou des citoyens canadiens.

M. Page, qui s'est fait demander par les partis d'opposition d'évaluer les coûts du projet de loi d'ici la mi-novembre, a toutefois déclaré à La Presse Canadienne que l'estimation du gouvernement ne comprenait pas de méthodologie, pas d'informations pour appuyer les dires du projet de loi et aucun coût provincial.

«Nous avons besoin de tellement plus. C'est décevant. Le Parlement a besoin de plus. Je crois que les Canadiens ont besoin de plus», a déclaré celui qui a été nommé par le premier ministre Stephen Harper en 2008.

«Je n'ai pas un biais politique de quelque côté que ce soit. Je regarde le tout strictement avec un point de vue de directeur parlementaire du budget. Il s'agit d'un manque de transparence et on demande tout de même un vote sur ce projet de loi.»

Le ministre Toews n'a pas offert d'excuse pour le travail comptable de son gouvernement, jeudi, déclarant à Radio-Canada que les totaux provenaient de ses responsables et que «vous ne trouverez pas de meilleures données que cela».

M. Page affirme cependant ne pas être en désaccord avec les projections gouvernementales, au moins pas pour l'instant. Il explique plutôt qu'il s'oppose au manque total de transparence et de justifications sur la façon dont le gouvernement est arrivé à cette estimation.

Par ailleurs, lors de l'audience du comité sénatorial, une autre question posée cette fois par l'un des collègues conservateurs du ministre Rob Nicholson siégeant au comité, a permis de justifier la section de son projet de loi qui porte sur les infractions reliées aux drogues.

Selon M. Nicholson, C-10 ne s'attaquerait pas aux individus qui «malheureusement deviennent «accros».

«Le projet de loi va s'en prendre aux individus qui sont impliqués dans la vente de drogue», a-t-il précisé.

Le projet de loi prévoit notamment une peine minimale de prison de six mois pour ceux qui sont trouvés en possession de 6 à 200 plants de cannabis, si l'infraction est commise à des fins de trafic. Pour une saisie de 201 à 500 plants, la peine minimale passe à un an.

Les détracteurs du projet de loi avaient ainsi formulé le slogan «six plants, six mois» pour le dénoncer.

M. Nicholson a affirmé que lorsque des plants sont trouvés chez un individu, la police est tout à fait capable de faire la différence entre un simple consommateur et un trafiquant de drogue.

Mais l'opposition n'est pas convaincue. Le porte-parole du Nouveau Parti démocratique (NPD) en matière de justice, Joe Comartin, croit que le projet de loi manque sa cible. Il estime qu'il va criminaliser les petits consommateurs de drogues, surtout des jeunes, sans mettre en prison les trafiquants.

«Si un jeune fait pousser de petits plants et les partages avec ses amis, il sera coupable de trafic de drogue», a ajouté M. Comartin, précisant que «le trafic, c'est l'acte de donner des choses».

L'imposition de peines minimales va mettre ces jeunes dans l'engrenage beaucoup plus lourd de ce système qui s'en prend au crime organisé, croit-il.

Questionné à ce sujet, le ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, qui a aussi témoigné au comité, a évité les questions des journalistes.

«Je ne vais pas entrer dans la définition du trafic de drogue. C'est clair», a-t-il tranché.

Pour Joe Comartin, ce sont ces dispositions sur les peines minimales pour ceux qui sont trouvés en possession de six plants et plus qui vont justement faire augmenter le nombre de personnes en prison et faire grimper les coûts du système carcéral.

Bon nombre de ces personnes se retrouveront dans des prisons gérées par les provinces, puisque les peines de moins de deux ans sont purgées dans les établissements provinciaux, a argumenté le NPD.

Le ministre Nicholson croit pour sa part que les délinquants se retrouveront surtout dans des pénitenciers fédéraux. Quant à son collègue Vic Toews, il a affirmé aux journalistes qu'aucune province n'a demandé au fédéral de l'aider pour assumer la facture. Pourtant, au moins une province, soit l'Ontario, ne s'est pas gênée et l'a fait publiquement.

Le projet de loi omnibus englobe neuf pièces législatives en matière de justice criminelle qui avaient été bloquées dans le passé par l'opposition - alors que le gouvernement Harper était minoritaire - ou qui sont mortes au feuilleton avec le déclenchement des élections.

Outre la portion sur les drogues, il prévoit notamment des peines de prison plus sévères pour ceux qui commettent des agressions sexuelles sur des enfants. Il inclut des périodes d'incarcération plus longues pour les jeunes contrevenants violents et signe aussi la fin des pardons aux récidivistes et à ceux qui sont reconnus coupables d'agressions contre les enfants.

Le gouvernement a la ferme intention de faire adopter le projet de loi C-10 en quatrième vitesse, d'ici Noël.