La Cour suprême du Canada a grandement influencé le cours de l'histoire, il y a 30 ans, en donnant au gouvernement libéral de Pierre Trudeau l'autorisation de rapatrier la Constitution avec l'appui d'un «nombre substantiel» de provinces.



Dans son renvoi, rendu le 28 septembre 1981, la Cour suprême a fait fi des précédents en matière de relations fédérales-provinciales du pays, estiment deux experts constitutionnels.

Selon Benoit Pelletier et Daniel Turp, la Cour suprême a tracé une nouvelle voie afin de permettre aux leaders politiques de l'époque de débloquer l'imbroglio constitutionnel. Ce faisant, elle n'a pas tenu compte des conventions constitutionnelles établies selon lesquelles seuls les amendements appuyés par toutes les provinces étaient soumis à la Grande-Bretagne pour adoption.

À titre d'exemple, cinq amendements adoptés par la Grande-Bretagne de 1930 à 1964 avaient au préalable l'appui du gouvernement fédéral et des provinces. Les autres modifications qui avaient été envisagées au Canada mais qui n'avaient pas l'appui unanime des provinces n'ont jamais été soumises au Parlement britannique.

«Dans ces précédents, quand on est allé à Londres, on a toujours appliqué une règle, qui était l'unanimité. Cela veut dire que le Québec avait un droit de veto. Pourtant, ce n'est pas la convention que la Cour suprême a retenue. Elle a retenu la convention d'un degré substantiel de consentement provincial», a affirmé hier Benoit Pelletier, professeur de droit constitutionnel à l'Université d'Ottawa.

«La Cour a voulu permettre un compromis politique. Elle a voulu tracer une voie aux politiciens, qui était celle de la négociation. Si elle s'en était tenue à une application stricte des précédents, comme elle aurait dû le faire à mon avis, le Québec aurait eu un droit de veto et aurait pu s'opposer au rapatriement de 1982», a ajouté M. Pelletier, ancien ministre dans le gouvernement de Jean Charest.

En rendant cette décision, la Cour suprême a donc ouvert la voie à Pierre Elliott Trudeau pour le rapatriement de la Constitution avec l'appui de neuf provinces, sans le consentement du Québec.

Professeur de droit à l'Université de Montréal, Daniel Turp estime que «la nuit des longs couteaux» n'aurait jamais eu lieu si la Cour suprême avait rendu une décision qui respectait les précédents amendements constitutionnels soumis à Londres.

«Trente ans plus tard, on ne peut que constater que la Cour suprême a joué un rôle dans l'espèce d'inertie constitutionnelle que l'on vit depuis. Quand elle a décidé que les conventions constitutionnelles prévoyaient qu'on avait juste besoin d'un degré substantiel d'assentiment des provinces, elle a contribué à isoler le Québec. Il est encore isolé aujourd'hui, 30 ans plus tard», dit M. Turp.