Des documents obtenus en vertu d'une loi sur l'accès à l'information jettent un nouvel éclairage sur la sélection de 32 projets financés par le Fonds d'infrastructure du G8 non seulement les demandes de subvention ont transité par le bureau de circonscription du ministre de l'Industrie de l'époque, Tony Clement, mais des fonctionnaires fédéraux ont aussi été associés au processus de sélection des projets. Des révélations qui contredisent les réponses apportées par les conservateurs lors de la parution, en juin dernier, du rapport de la vérificatrice générale sur les sommets du G8 et du G20.

Comptes rendus de réunion, courriels et autres papiers administratifs les documents fournis au NPD par les villes de Gravenhurst, Bracebridge, Huntsville, Lake of Bays et Georgian Bay grâce à la Loi sur l'accès à l'information municipale de l'Ontario révèlent qu'un groupe de préparation au G8, le Local Area Leadership Group, a été mis sur pied près de deux ans avant le sommet. Composé des édiles de la région de Muskoka, dont Tony Clement, il a joué un rôle de premier plan dans le choix des projets financés par le fonds doté de 50 millions.

«Un système parallèle»

Le bureau de circonscription de Tony Clement, à Huntsville, est au coeur de la sélection des projets c'est là que tous les formulaires de candidature ont été envoyés, à l'attention d'une employée de M. Clement, Sondra Mear. Celle-ci n'est pas la seule à être citée comme personne ressource dans les documents obtenus par le NPD.

Voilà qui contredit les propos tenus par Tony Clement lors d'une conférence de presse organisée à la parution du rapport de la vérificatrice générale. Il avait soutenu, sans document à l'appui, que les maires de ces villes étaient responsable de la sélection des projets. John Baird, ancien ministre des Infrastructures, avait ensuite volé à son secours et répondu que les projets avaient été approuvés par ses soins, pour gagner du temps.

«Tony Clement a dit qu'il n'y avait pas de trace papier de tout ça, et pourtant, nous découvrons que tous ces dossiers sont passés par son bureau de circonscription, s'étonne Charlie Angus, critique du NPD en matière d'éthique et de responsabilisation. Il a mis en place un système parallèle pour distribuer ces fonds. Il a utilisé son bureau pour faire la promotion de ces projets et pour suivre leur progression. Et quand on lui a demandé de s'expliquer, il a dit qu'il ne savait rien de tout ça. Il y a clairement eu un plan élaboré pendant deux ans pour répartir l'argent de façon inappropriée. Et une couverture pour le cacher.»

Fonctionnaires impliqués

Contrairement aux informations soumises à la vérificatrice générale, des fonctionnaires fédéraux ont été associés aux réunions du Local Area Leadership Group, révèlent ces documents. C'est le cas notamment de fonctionnaires du ministère des Affaires intergouvernementales, d'Infrastructure Canada, d'Industrie Canada et de la FedNor, un organisme de développement régional de l'Ontario.

«Les fonctionnaires ont soutenu qu'ils ne savaient rien du tout. Et pourtant, on les voit participer aux mêmes réunions privées présidées par Tony Clement! s'indigne Charlie Angus. Tout a été fait pour qu'aucun papier ne passe par les fonctionnaires. On n'aurait jamais rien su sans passer par les informations municipales.»

Le NPD demande des comptes

Les dépenses des sommets du G8 et du G20 ont soulevé bien des questions depuis plus d'un an.

D'abord parce que le Parlement n'a jamais approuvé ces dépenses de 50 millions en tant que telles les députés avaient voté en novembre 2009 pour un Fonds qu'ils croyaient être destiné aux infrastructures frontalières. Ensuite, parce que les projets financés l'ont été sans la participation de hauts fonctionnaires du gouvernement. Parmi les réalisations les plus contestables, le rapport de Mme Fraser cite la construction de toilettes publiques pour 274000$ ou encore un investissement de 1,3 million pour des trottoirs et un parc. Deux projets construits à plusieurs dizaines de kilomètres des lieux des sommets.

Selon le NPD, Tony Clement, aujourd'hui président du Conseil du Trésor, a mis en place un «procédé élaboré» pour cacher à la vérificatrice générale des informations sur l'attribution des fonds. «C'est très choquant», dit Charlie Angus.

L'opposition demande maintenant au premier ministre Stephen Harper de sanctionner le ministre. «Si cela reste impuni, le message sera que les ministres peuvent mettre en place le système qu'ils veulent, sans avoir à rendre de comptes aux citoyens. Déjà, comment ont-ils pu avoir 50 millions pour des infrastructures, les prendre et ensuite les donner à Tony Clement? On ne sait pas. Il y a bien des gens dans le gouvernement qui ont dû savoir ce qui se passait», dit M. Angus.

«Soit Tony Clement est un ministre voyou (rogue minister), soit nous avons un gouvernement voyou (rogue government). C'est ce que le gouvernement doit maintenant décider.»

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Chronologie d'une controverse

Novembre 2009 Le Parlement approuve une allocation de 83 millions de dollars pour le Fonds d'infrastructure frontalière en vue des sommets du G8 et du G20. Mais une tranche de 50 millions finance 32 projets dans des villes situées à plusieurs centaines de kilomètres des lieux du sommet du G8, dans la région de Muskoka.

25-26 juin 2010 Sommet du G8 à Huntsville, en Ontario, dans la circonscription  de Tony Clement.

Avril 2011 En pleine campagne électorale, une version du rapport préliminaire de la vérificatrice générale fuit dans la presse.

10 juin 2011 Publication du rapport de la vérificatrice générale sur les dépenses occasionnées par les sommets du G8 et du G20. Sheila Fraser note d'importantes failles dans la gestion du Fonds d'infrastructure de 50 millions du G8 et reproche au gouvernement d'avoir manqué de transparence. «Il n'y a aucune preuve qui suggère une tentative délibérée d'induire en erreur», répond, en Chambre, le ministre John Baird.

Août 2011 Des documents  obtenus par le NPD grâce à la Loi sur l'accès à l'information municipale de l'Ontario montrent que ces projets ont été soumis au bureau de circonscription du ministre Clement et que des fonctionnaires fédéraux ont participé à des réunions locales sur le sujet.