La communauté internationale doit respecter la souveraineté du Canada dans l'Arctique, a affirmé hier Michel Rocard, ex-premier ministre français et ambassadeur de la France chargé des négociations internationales sur les zones polaires. De passage à Montréal après un voyage de six jours sur l'Amundsen, un brise-glace de la garde côtière canadienne, il a toutefois déclaré que l'attitude de la Russie et du Canada «ralentit», voire «empêche» la coopération internationale liée aux enjeux de l'Arctique.

«J'ai tendance à plaider la thèse qu'il faut respecter la souveraineté canadienne. Mais en disant cela, je cesse presque d'être fonctionnaire du gouvernement français, ce que je suis aujourd'hui, pour parler à mon compte, ce que je ne devrais pas faire, a-t-il déclaré lors d'un entretien avec des médias français et québécois dans un hôtel de la métropole. La France et toute l'Europe sont alignées sur la position américaine, qui refuse la thèse des eaux intérieures canadiennes et qui prétend que le passage du Nord-Ouest est un détroit international de grande navigation.»

Le passage du Nord-Ouest est une voie maritime qui traverse les îles du nord du Canada et qui relie les océans Pacifique et Atlantique. Le réchauffement climatique pourrait le rendre navigable d'ici à quelques années et offrir une intéressante solution de rechange au canal de Panama. Selon des estimations des climatologues, le passage pourrait être navigable en été dans 10, 20 ou 30 ans.

Depuis quelques années, le passage retient donc l'attention des États. Le Canada estime qu'il a le pouvoir de réglementer et de contrôler l'accès à la région. En revanche, les États-Unis soutiennent qu'il s'agit d'eaux internationales.

Que pense M. Rocard? Le Canada devrait-il avoir le droit de gérer les eaux du passage du Nord-Ouest?

«Je ne commettrai assurément pas l'imprudence de vous donner un avis. Nous sommes en terrain miné. Mais aujourd'hui, le droit est clair: c'est le Canada.»

M. Rocard, qui a navigué dans l'Arctique du 31 juillet au 6 août à l'invitation d'ArcticNet, un groupe de chercheurs issus de 30 universités canadiennes et de 8 ministères fédéraux, prône l'approche de l'«interdépendance» des États. Il affirme cependant que le Canada est plus ou moins réceptif à cette approche.

«Il y a du gaullisme dans l'attitude canadienne vis-à-vis de l'Arctique et tout ça, c'est chaleureux, c'est sympathique et, en plus, ça amène le Canada à avoir une politique extrêmement active de recherche scientifique et de travail sur l'Arctique, ce qui est tout à fait positif et remarquable. En même temps, je me permettrai amicalement de dire que le Canada met en évidence sa souveraineté, mais il la met dans les conditions où elle a été frustrée ou mal respectée depuis un siècle.»

Coopérer

À son avis, le Canada ne peut pas occulter le phénomène de la mondialisation et refuser de coopérer sur l'avenir de l'Arctique. «Nous vivons cette période comme une phase dans laquelle le besoin de réaffirmation et de consolidation de souveraineté commun aux Russes et aux Canadiens est un peu un ralentisseur, sinon un empêchement à la coopération internationale active. Voilà ce qui nous inquiète un peu. Je comprends de mieux en mieux le Canada depuis que l'on se fréquente, que l'on discute. Les Américains sont de gros mangeurs de souveraineté de tout ce qu'ils ont de voisin, et quand ils font passer leurs sous-marins dans les eaux territoriales canadiennes et ne demandent pas la permission, ce n'est pas bien. Mais est-ce que l'on peut faire quelque chose?»

À son avis, de nombreux défis guettent maintenant l'Arctique: la mise en place de règlements de navigation, d'infrastructures, d'un plan pour la prospection de ressources pétrolières et gazières et, de manière plus pressante, la réglementation entourant la pêche.

Michel Rocard a été premier ministre de la France de 1988 à 1991 et député européen de 1994 à 2009.