La question était délicate. Les journalistes, embarrassés, la posaient à contrecoeur pendant la campagne électorale: «Monsieur Layton, votre santé vous permet-elle assurément de continuer de mener votre carrière politique tambour battant?»

Invariablement, l'oeil vif, Jack Layton répondait par l'affirmative. Sa hanche? Simple accident d'entraînement. Positif, optimiste, combatif, comme toujours. Comme hier, quand il a prédit qu'il retournerait dans l'arène politique en septembre.

L'ennui, c'est que, cette fois, son physique amaigri cache mal à quel point la bataille sera rude.

Hier, Jack Layton a dit exactement ce qu'il fallait, croit le politologue François-Pierre Gingras. «Il a dit qu'il combattait maintenant un deuxième cancer, il a été transparent, sans s'obliger à entrer dans les détails.»

Le cancer, Jack Layton connaît trop bien. Son père, dans les années 90, a lui aussi été atteint d'un cancer de la prostate et s'en est bien remis. La femme de Jack Layton, Olivia Chow, a aussi vaincu un cancer de la glande thyroïde.

En 2006, dans une entrevue avec La Presse, le couple l'avait juré: même quand il sera question de vie ou de mort, jamais il ne cherchera à recevoir des soins du secteur privé.

Est-ce en raison de principes aussi forts que Jack Layton est aimé des Québécois, alors que tant d'autres politiciens n'inspirent ces années-ci que méfiance et mépris?

En tout cas, quand on évoque cet attachement des Québécois pour Jack Layton, les politologues François-Pierre Gingras et Réjean Pelletier disent tous deux spontanément que cela leur rappelle René Lévesque. «Des politiciens comme Pierre Elliott Trudeau ou Wilfrid Laurier ont été admirés, mais les gens ne s'identifiaient pas à eux comme ils se sont identifiés à René Lévesque et à Jack Layton. Ces deux-là dégagent de la sincérité, ils ont la capacité de s'adresser aux gens de façon simple sans tomber dans le populisme démagogique», fait observer M. Gingras, professeur de sciences politiques retraité de l'Université d'Ottawa.

«Les deux ont su être proches du peuple, et ça, c'est un fort atout en politique», confirme Réjean Pelletier, professeur de sciences politiques à l'Université Laval.

Un atout si important que la personnalité de Jack Layton explique en grande partie le succès de son parti aux dernières élections, selon M. Gingras. «D'autres chefs du NPD ont été populaires - Ed Broadbent, notamment -, mais ils n'étaient pas parvenus à traduire cela en votes, le jour des élections, comme y est parvenu Jack Layton.»

Vrai, mais ce succès, c'est surtout un succès québécois, souligne pour sa part M. Pelletier. Ailleurs au Canada, Jack Layton n'a pas tellement amélioré son score aux dernières élections.

Qu'est-ce qui plaît tant aux Québécois? Le fait que cet anglophone de souche, pur produit de la bourgeoisie de Hudson, fils et petit-fils de ministres conservateurs, parle français? Mieux encore, qu'il ne l'ait pas appris, comme Ignatieff, dans ces grandes écoles qui vous donnent un accent pseudo-parisien, mais dans des chantiers, avec des gars de la construction, pendant des emplois d'été?

À ce propos, Jack Layton avait confié en entrevue le printemps dernier: «J'ai un vocabulaire très intéressant que je ne peux pas utiliser régulièrement.»

Si l'on ne sait pas tout de la gravité de la maladie de Jack Layton, et rien de ce nouveau cancer qui le force à prendre un certain recul, il n'y a pas beaucoup de mystère pour tout le reste. On sait qu'il a rencontré sa femme, Olivia Chow, lors d'une collecte de fonds pour un hôpital, qu'ensemble ils se sont d'abord fait élire à la mairie de Toronto avant de siéger ensemble à la Chambre des communes.

On sait aussi pour le vélo, pour la maison centenaire transformée en maison verte, avec panneaux solaires sur le toit et barils posés dans le jardin pour recueillir l'eau de pluie. On sait aussi pour belle-maman qui, à plus de 80 ans, assure l'intendance de la maison et s'occupe de la cuisine, de la lessive et du jardin.

Une personnalité forte, que ce Layton, donc, indissociable de son succès politique.

Mais le politicien en tant que tel? Jusqu'à maintenant, il a surtout réussi à sortir le NPD de la marginalité - du moins au Québec. Moins «gogauche», le NPD, «moins doctrinaire, moins collé aux syndicats et plus près de la social-démocratie à l'européenne», analyse le politologue Réjean Pelletier.

Par moments, dans son allocution d'hier, et surtout quand il a rappelé les valeurs qui l'ont toujours animé, Jack Layton a semblé faire son testament politique. Croit-il vraiment à un retour? Et les électeurs du Québec, quand ils l'ont plébiscité, en mai, croyaient-ils qu'il était assez en santé pour assumer son rôle de chef de l'opposition de façon durable? «Je doute que les électeurs aient calculé la chose sur le long terme, dit le politologue François-Pierre Gingras. Les gens l'aiment, ils croient en lui, ils admirent sa combativité, ils veulent croire en sa guérison et ils souhaiteraient, s'ils se retrouvaient dans pareille situation, être capables d'y faire face avec le même courage.»