Si les partis de l'opposition reculent dans l'affrontement parlementaire qui agite Ottawa depuis deux semaines, la Chambre des communes continuera de perdre du pouvoir par rapport au gouvernement.

C'est le constat qu'a fait Robert Marleau, sommité de la procédure parlementaire au Canada, à la veille d'une semaine qui s'annonce déterminante tant pour l'histoire politique canadienne que pour la survie du gouvernement Harper.

Un rapport du comité parlementaire de la procédure, qui pourrait reconnaître le gouvernement coupable d'outrage au Parlement, doit être déposé aujourd'hui à la Chambre des communes. D'une force symbolique considérable, un tel constat serait une première dans l'histoire canadienne à l'égard du gouvernement fédéral lui-même.

Et s'il est adopté par la Chambre d'ici la fin de la semaine, le verdict du comité pourrait encourager les partis de l'opposition à défaire le gouvernement dans les jours qui suivront.

Greffier de la Chambre des communes pendant 13 ans et coauteur de la «bible» sur le droit parlementaire au Canada, Robert Marleau estime que les députés n'ont pas le choix: «Si la Chambre fait silence sur ces privilèges, sur les décisions du président, ses pouvoirs sont diminués, a-t-il tranché lors d'un entretien avec La Presse. Et ça devient plus difficile la prochaine fois de les exercer.»

Dans une décision sévère rendue il y a deux semaines, le président de la Chambre des communes a reconnu que le gouvernement Harper avait, à première vue, violé les privilèges parlementaires des députés en refusant pendant plusieurs mois de fournir des détails sur les centaines de millions de dollars attachés à plusieurs de ses mesures.

Une autre décision rendue le même jour par le président Peter Milliken a conclu que la ministre de la Coopération internationale, Bev Oda, avait à première vue porté atteinte aux privilèges des députés en induisant la Chambre en erreur au sujet du refus de financer l'organisme Kairos. Le comité parlementaire de la procédure doit remettre son rapport sur l'affaire Oda à la Chambre des communes plus tard cette semaine. Dans ce cas-ci également, la ministre pourrait être accusée d'outrage au Parlement.

«On ne peut pas rejeter ces décisions qui sont quand même assez significatives et je dirais même historiques», estime Robert Marleau.

La notion de «privilège» englobe tous les droits et les pouvoirs accordés aux députés pour leur permettre de faire leur travail - dans les circonstances, voter des lois en ayant en main toutes les informations nécessaires - et de surveiller les actions du gouvernement au nom des électeurs canadiens.

M. Marleau estime que les parlementaires ont depuis plusieurs années abdiqué certaines de leurs responsabilités constitutionnelles, dont celle de scruter les prévisions budgétaires du Parlement.

Poursuivre dans la même veine ne ferait qu'éroder les pouvoirs de la Chambre encore davantage, dit-il.

L'ancien greffier ne va pas jusqu'à lancer un appel à la chute du gouvernement: «Ça va être difficile d'expliquer au peuple si on est en élections qu'on a défait le gouvernement parce qu'il est en outrage... Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de défaire le gouvernement là-dessus.»

Mais dans les circonstances, et vu les nombreux votes budgétaires qui auront lieu dans les prochains jours, difficile d'imaginer comment les partis de l'opposition pourraient continuer à exprimer leur confiance dans les troupes de Stephen Harper, s'ils allaient de l'avant avec ces conclusions d'outrage.

«D'un côté, on conteste les projets de loi et le manque d'information; et de l'autre côté, ce serait illogique de donner de l'argent pour réaliser leur projet. Il y a une contradiction fondamentale», conclut Robert Marleau.