L'enquête de la GRC qui a mené à l'arrestation l'été dernier de trois suspects accusés de complot terroriste, à Ottawa, a déjà coûté près de 3 millions, a appris La Presse.

L'opération baptisée projet Samossa, qui a débuté en 2009, avait coûté, en date du 4 novembre 2010, 2 846 613$ en incluant les salaires et les dépenses en heures supplémentaires, stipule un document obtenu grâce à la loi d'accès à l'information.

«L'opération Samossa est une enquête toujours en cours. Ainsi, pour protéger l'intégrité de l'enquête, les documents originaux ne peuvent être divulgués», explique la note, qui provient du Bureau des enquêtes relatives à la sécurité nationale de la GRC.

Les 25 et 26 août derniers, la GRC a arrêté Hiva Alizadeh et Misbahuddin Ahmed à Ottawa et Khurram Sher à London, en Ontario, après plusieurs mois d'enquête.

Les trois sont accusés de complot pour commettre ou faciliter un attentat terroriste. Alizadeh et Ahmed sont aussi accusés de possession de matériel explosif dans l'intention de causer des dommages. Enfin, Hiva Alizadeh fait face à un troisième chef d'accusation pour avoir fourni des biens matériels ou des services financiers à une organisation terroriste.

À l'automne, après des audiences au cours desquelles un juge de paix a entendu les détails du dossier, qui sont sous le coup d'un interdit de publication, deux des trois accusés ont été libérés sous caution, moyennant des engagements personnels et financiers substantiels de la part de membres de leur famille et d'amis. Alizadeh, considéré comme le leader présumé du groupe, est le seul des trois à ne pas avoir encore eu d'audiences pour une libération conditionnelle.

Pour l'expert en sécurité nationale Michel Juneau-Katsuya, ancien agent du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), le coût n'est «pas nécessairement excessif», compte tenu de la lourdeur d'une telle enquête.

«C'est une enquête qui a duré plus d'une année. Ça sous-entend énormément de gens concernés, soutient M. Juneau-Katsuya. Là où une enquête de ce type va coûter le plus cher, c'est sur le plan de la surveillance, physique ou électronique, des individus. Et dans le cas actuel, on sait que les agents ont procédé à ces deux types de surveillance.»

En comparaison, l'enquête de la GRC sur le Canadien d'origine syrienne Maher Arar, qui a conclu à tort que ce dernier avait des liens avec Al-Qaïda, a coûté près de 900 000$, en plus des 4,1 millions dépensés par les autorités policières canadiennes pour se défendre à la commission d'enquête qui a suivi. Celle-ci s'est soldée par un blâme pour la GRC, accusée d'avoir fourni des renseignements inexacts à des gouvernements étrangers. Blanchi de tout soupçon, Maher Arar a par la suite reçu 10,5 millions d'Ottawa en compensation.

Les enquêtes dans les dossiers liés au terroriste coûtent très cher, concède M. Juneau-Katsuya, mais elles donnent des résultats, estime-t-il, comme dans le cas des 18 personnes arrêtées à Toronto en 2006, dont 11 ont été reconnues coupables, ou encore dans le dossier de Momin Khawaja, première personne reconnue coupable en vertu de la loi antiterroriste canadienne, adoptée en 2001.

«Il y a des activités terroristes au Canada et il y a des individus impliqués», explique M. Juneau-Katsuya, qui juge ces dépenses nécessaires. «Quelle serait la solution de rechange? Ne pas faire certaines enquêtes et en laisser filer un qui va aller poser une bombe quelque part? Alors je ne voudrais pas être un membre de la famille de quelqu'un qui a été tué parce que quelqu'un n'a pas fait son travail.»

La GRC a, selon lui, tiré «de grandes leçons» des dossiers comme celui de Maher Arar, et elle est mieux préparée à faire face à des enquêtes liées au terrorisme qu'il y a 10 ans, lors de l'adoption de la loi antiterroriste. «Mais vous pourriez quintupler les budgets de la GRC, de la Défense et du SCRS, ça n'arrêterait pas le terrorisme, conclut le spécialiste. C'est ça, la force du terrorisme. Lorsqu'on procède à l'arrestation d'un groupe d'individus, on ne fait que traiter le symptôme, on ne fait pas disparaître le mal. Pour enrayer le terrorisme, ça ne se passera pas ici au Canada. Il faut aller à la source même des griefs des terroristes. Et travailler sur les éléments qui motivent leurs attaques.»

- Avec William Leclerc