Le gouvernement fédéral se moque de la loi sur l'accès à l'information en refusant de rendre publics les agendas du premier ministre et de son personnel, a soutenu jeudi l'avocat du commissaire fédéral à l'information, lors d'une audience à la Cour suprême du Canada.

L'avocat Paul Schabas a insisté auprès du plus haut tribunal du pays afin qu'il contraigne le gouvernement à lever le sceau de confidentialité sur ces documents.

Des tribunaux de premières instances ont déjà refusé d'accéder à plusieurs demandes d'accès à l'information au cours des années 1990, alors que Jean Chrétien était premier ministre.

Me Schabas, qui plaidait au nom de l'Association canadienne des journaux, a insisté auprès des neuf juges afin qu'ils renversent la décision de la Cour fédérale. Autrement, a-t-il fait valoir, les gens les plus puissants du gouvernement échapperont aux dispositions de la Loi sur l'accès à l'information.

Selon lui, en soustrayant les dirigeants des plus hautes sphères gouvernementales aux dispositions de cette loi, la Cour fédérale l'a carrément «décapitée». «Ce sont ces personnes qui devraient rendre des comptes», a-t-il ajouté.

Pour sa part, l'avocat du gouvernement, Christopher Rupar, a soutenu qu'en élaborant la Loi sur l'accès à l'information, le Parlement n'avait jamais eu l'intention de publier l'emploi du temps du premier ministre.

Si tel avait été le cas, le gouvernement aurait répondu aux nombreuses et insistantes demandes formulées par le commissaire à l'information à partir du milieu des années 1990, qui souhaitait délimiter clairement quel était le rôle des ministres au sens de la loi.

Me Rupar a affirmé que le gouvernement avait gardé un «silence législatif» sur la question. Il a suggéré aux juges d'être prudents dans leur interprétation de la loi.

La Cour suprême devra statuer sur des questions légales fort complexes, en particulier si le cabinet du premier ministre et ceux des ministres font partie d'une institution gouvernementale au sens de la Loi sur l'accès à l'information, et si le premier ministre ou un ministre peut être considéré «officier» d'une institution.

Les lois respectives de l'Écosse, de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie définissent clairement le rôle des ministres, a-t-on indiqué à la Cour.

Les juges ont multiplié les questions aux avocats à ce sujet, réservant les plus serrées aux procureurs du commissaire à l'information.

«Nous estimons qu'une personne qui est à la tête d'un ministère et qui bénéficie de ce pouvoir, de ces devoirs et de ces fonctions est un officier de ce ministère», a affirmé Lawrence Kearly, l'un des trois avocats du commissaire à l'information. Autrement, cela donnerait lieu à des «résultats absurdes», a-t-il plaidé.

Par exemple, a fait valoir M. Kearley, si un ministre rencontrait son personnel pour parler d'affaires ministérielles, «il faudrait biffer le nom du ministre dans les minutes de réunion parce qu'il s'agit d'une information personnelle». Les frais de déplacement des ministres seraient eux aussi exclus puisqu'il s'agirait d'informations personnelles, a-t-il ajouté.

Il y a quatre ans, les conservateurs avaient décidé de poursuivre la bataille juridique entamée par les libéraux pour maintenir les agendas ministériels confidentiels - et ce, même s'ils avaient tenté de les obtenir alors qu'ils formaient l'opposition officielle à Ottawa.

Ce renvoi en Cour suprême concerne aussi des demandes d'accès aux documents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), car la police nationale obtient des copies des agendas du premier ministre pour des raisons de sécurité. Les emplois du temps des ministres de la Défense et des Transports sont également transmis à la GRC.

Cela fait maintenant plus de dix ans que cette question est débattue devant les tribunaux. En bout de course, la Cour suprême devra donc établir la limite entre les informations privées et publiques des ministres et du premier ministre.

Comme elle a l'habitude de le faire, la Cour suprême a pris la cause en délibéré.