S'il devra inévitablement décider tôt ou tard du sort du gouvernement minoritaire de Stephen Harper, le nouveau gouverneur général, David Johnston, refuse de se voir comme un arbitre qui sera appelé à trancher. Il se décrit plutôt comme un conseiller, avec une vision à long terme du pays, qui encouragera le gouvernement à préserver les institutions de la démocratie parlementaire.

À une époque où les gouvernements minoritaires se succèdent, M. Johnston affiche un curriculum vitae idéal pour prendre en charge la responsabilité constitutionnelle qui lui incombe.

Car c'est à lui que revient la décision d'accorder une prorogation ou une élection au premier ministre, ou un gouvernement à une coalition formée de plusieurs partis. En 2008, la prédécesseure de M. Johnston, Michaëlle Jean, avait créé un précédent en acceptant d'accorder une prorogation au premier ministre Harper, qui voulait éviter d'être renversé par une coalition formée des partis d'opposition à peine quelques semaines après l'élection.

Ayant fait carrière comme professeur de droit, David Johnston a été choisi par un panel d'experts nommés par Stephen Harper, qui a souligné au moment de sa nomination qu'il comptait «une vaste expertise juridique, une pleine compréhension du gouvernement et une conscience aiguë des fonctions et des devoirs qui seront bientôt les siens».

Des éloges peu étonnants, de la part d'un premier ministre qui n'a pas exclu la possibilité de proroger la session parlementaire tous les ans, pour faire table rase à l'arrivée de la nouvelle année.

Questionné à ce sujet, le nouveau gouverneur général ne veut pas trop s'avancer sur les discussions qu'il a eues avec Stephen Harper ou sur les attentes que ce dernier pourrait avoir.

En entrevue exclusive avec La Presse Canadienne, mercredi, M. Johnston s'est défini comme un homme d'histoire, qui n'hésiterait pas à chercher l'avis d'experts s'il était appelé à se prononcer. Mais il refuse de parler d'hypothèses.

«Si un individu veut faire son travail -que ce soit recteur d'une école de droit, président d'une université ou gouverneur général-, celui-ci doit être très conscient de comprendre l'histoire afin d'amener un jugement éclairé dans le présent», a-t-il plaidé, lors de la première entrevue accordée à un média écrit.

Vantant le système parlementaire canadien, M. Johnston estime que son rôle consiste à encourager et conseiller le gouvernement quant à la meilleure façon de préserver cette démocratie parlementaire.

«Je pense que la valeur qu'un gouverneur général peut offrir à notre système parlementaire, c'est que le gouverneur général est à l'extérieur de la politique, c'est quelqu'un d'objectif, et l'on s'attendrait à ce qu'il ait une vision à long terme du pays et de ses valeurs», a-t-il indiqué.

Un rôle qui requiert d'ailleurs que le gouverneur général ait une bonne relation avec le premier ministre en poste s'il veut être entendu, a reconnu M. Johnston, lorsque interrogé sur celle qu'il entretient avec M. Harper -qui selon certains ne s'entendait pas à merveille avec l'ancienne gouverneure générale, Michaëlle Jean.

Mais s'il soutient que son rôle d'aujourd'hui l'amènera à être apolitique, M. Johnston a néanmoins affiché ses couleurs il y a 15 ans, en marge du référendum sur la souveraineté du Québec.

Vice-président du Comité du Non de Montréal, en 1995, et co-auteur d'un livre paru la même année sur les coûts économiques qu'engendrerait la séparation du Québec, David Johnston réplique aujourd'hui qu'il n'est qu'un «citoyen avec ses idées» et dit n'avoir rien à regretter.

«C'est mon histoire. J'ai participé dans le référendum parce que j'aime le Canada», a-t-il fait valoir, en disant espérer que cet épisode de sa vie ne nuise pas à ses efforts d'unir le pays, l'un de ses mandats comme gouverneur général.

Car ce sont deux épisodes différents de sa vie, a-t-il affirmé, lors de son premier entretien en français depuis son assermentation, qui s'est déroulé dans l'un des salons de sa nouvelle résidence officielle, Rideau Hall.

Malgré un séjour d'une vingtaine d'années à Montréal, les 11 années qui ont suivies dans le sud de l'Ontario -où il dirigeait l'Université de Waterloo- ont laissé place à un français un peu rouillé. Mais M. Johnston a tenté de rafraîchir sa deuxième langue cet été et il continue de suivre les bons conseils de ses assistants francophones, a-t-il assuré.

Tel qu'annoncé au moment de son installation, vendredi dernier, la famille et l'éducation seront au coeur des priorités du nouveau gouverneur général.

Ce père de cinq filles et grand-père de sept petits-enfants n'a d'ailleurs pas perdu de temps pour partager sa nouvelle vie avec sa famille, ses petits-enfants, petits-neveux et petites-nièces ayant déjà exploré Rideau Hall et découvert que la demeure donne lieu à d'impressionnantes parties de cache-cache.

L'épouse de M. Johnston, Sharon, l'accompagnera tout au long de son règne, mais elle mènera aussi de son côté ses propres projets, en s'adressant particulièrement aux enfants, selon les pronostics de son mari. Le couple n'a pas encore déterminé les causes précises qu'il prévoit appuyer, mais M. Johnston a cité en exemple l'Ordre du Canada.

Quant aux voyages qu'il souhaiterait mener, à peine arrivé en poste le gouverneur général n'a pas non plus eu le temps de dresser son horaire. Il commencera par découvrir les différentes régions du pays et rencontrer les Canadiens.

Au terme de son entrevue, le gouverneur général a avoué avoir été surpris lorsqu'on lui a annoncé qu'il deviendrait le nouveau représentant de la reine. Car ce n'est pas une fin de carrière à laquelle on s'attend, a expliqué celui qui a grandi dans une petite ville ontarienne et qui habitait une ferme, jusqu'à la semaine dernière.

Sa femme Sharon a d'ailleurs mis un peu plus de temps à se faire à l'idée de sa nouvelle vie.

«Bien sûr, lorsqu'elle y est arrivée, elle est une grande canadienne et elle était ravie à l'idée que nous puissions faire quelque chose pour le Canada», a-t-il soutenu.