Les libéraux de Michael Ignatieff ont résumé en une phrase hier leur bilan de la session parlementaire: «De la prorogation jusqu'au faux lac, une culture de tromperie.»

Le chef du NPD, Jack Layton, s'est montré tout aussi sévère envers les conservateurs de Stephen Harper: «Quelque chose ne tourne pas rond à Ottawa. Le premier ministre veut gouverner comme s'il avait une majorité à la Chambre des communes.»

 

«Nous sommes en présence d'un gouvernement dogmatique, de plus en plus borné, qui ne respecte pas les principes élémentaires du fonctionnement du Parlement», a pour sa part affirmé le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe.

Cible de toutes les attaques, Stephen Harper a tenté au cours des derniers jours de désarçonner ses adversaires en utilisant un refrain qu'il va sans doute reprendre durant une éventuelle campagne électorale: les libéraux sont prêts à tout pour reprendre le pouvoir, quitte à former avec les socialistes (le NPD) une coalition qui serait soutenue par les séparatistes (le Bloc québécois).

En somme, la session qui a pris fin hier à Ottawa s'est terminée comme elle avait commencé: dans l'acrimonie et l'affrontement sans retenue.

Pourtant, en décembre, les conservateurs étaient en tête dans les intentions de vote au pays: ils devançaient les libéraux par une dizaine de points dans les sondages. Les Canadiens appréciaient les moyens que prenait le gouvernement Harper pour sortir le pays de la récession économique.

Mais la décision du premier ministre - annoncée le 30 décembre - de proroger les travaux du Parlement pour la deuxième fois en 12 mois a tout fait basculer. M. Harper affirmait avoir besoin de quelques semaines pour revoir les priorités de son gouvernement alors que la reprise se profilait à l'horizon.

Mais le discours du Trône présenté le 3 mars, après les Jeux olympiques de Vancouver, contenait peu de nouvelles mesures, si ce n'est l'idée de corriger la version anglophone de l'hymne national du Canada pour éliminer un passage jugé sexiste. Les conservateurs ont dû faire marche arrière quelques jours plus tard devant les protestations.

Quant au budget présenté le lendemain du discours du Trône, il ne contenait aucune nouvelle dépense majeure après le coûteux plan de relance économique de 40 milliards de dollars adopté en 2009.

Projets de loi

En outre, des 50 projets de loi présentés au Parlement cette session, 27 étaient d'anciens projets de loi recyclés, dont plusieurs concernent la loi et l'ordre. Seulement 20 constituaient de nouvelles mesures, et trois portaient sur l'adoption du budget ou des crédits nécessaires au fonctionnement de l'État.

Cinq projets de loi présentés par le gouvernement ont été adoptés à la Chambre et quatre au Sénat, si on exclut le budget et des projets de loi de crédits.

Les partis de l'opposition ont habilement réussi à canaliser la colère des Canadiens à l'endroit des conservateurs après la prorogation en qualifiant la manoeuvre d'antidémocratique. Depuis lors, l'appui aux conservateurs dans les sondages stagne à environ 33%, bien en deçà de leur score de 37,7% au dernier scrutin et loin du chiffre magique de 40% pour leur assurer une majorité aux Communes. La méfiance semble s'être installée de nouveau dans l'esprit de certains électeurs. Pour la première fois depuis qu'ils sont au pouvoir, les conservateurs se sont retrouvés dans l'embarras sur deux questions qui leur sont chères: l'intégrité et la gestion prudente des fonds publics.

Au mois d'avril, Stephen Harper a annoncé sans avertissement le congédiement de la ministre d'État à la Condition féminine, Helena Guergis, après avoir été informé par une tierce partie «d'allégations sérieuses et crédibles» à son sujet et touchant également son mari, Rahim Jaffer, ancien député conservateur. M. Harper en a profité pour expulser Mme Guergis du caucus, et il a informé la GRC et la commissaire à l'éthique des soupçons qui pesaient sur Mme Guergis. À ce jour, on ne connaît toujours pas la teneur de ces allégations, mais le mari de Mme Guergis est soupçonné d'avoir fait du lobbyisme et d'avoir utilisé les bureaux de l'ex-ministre sans être inscrit comme lobbyiste.

Le gouvernement Harper a été sérieusement égratigné après avoir divulgué que les coûts de la sécurité des sommets du G8 et du G20, qui auront lieu à Huntsville et à Toronto à la fin du mois, friseront les 900 millions de dollars. Depuis, les médias multiplient les révélations concernant des dépenses douteuses réalisées en prévision de ces deux sommets, notamment les 57 000$ pour l'aménagement d'un faux lac dans le centre des médias de Toronto pour impressionner les journalistes qui ne pourront se rendre à Huntsville. Cette dépense est devenue rapidement le symbole d'une gestion défaillante et a fait les délices des libéraux et des néo-démocrates ainsi que de certains médias étrangers.

Deux dossiers cruciaux

Le gouvernement Harper et les trois partis de l'opposition se sont livrés à un bras de fer dans deux dossiers cruciaux: l'accès aux documents secrets sur le traitement réservé aux détenus afghans transférés par les soldats canadiens et le témoignage des adjoints des ministres, en particulier de Dimitri Soudas, devant les comités parlementaires.

Forcés par une décision du président de la Chambre, Peter Milliken, de trouver un compromis, les protagonistes se sont entendus sur une façon de divulguer les documents sur les prisonniers afghans. Mais dans le deuxième litige, l'impasse persiste. Le gouvernement soutient que seuls les ministres doivent rendre des comptes devant les comités. Le bras de fer pourrait provoquer des élections à l'automne si l'opposition décide de déclarer M. Soudas coupable d'outrage au Parlement. M. Harper a la ferme intention de traiter la question comme un vote de confiance aux Communes.

Tous les députés ont poussé un soupir de soulagement, hier, après la fin de cette longue joute parlementaire. Stephen Harper pourra maintenant consacrer tout son temps aux deux sommets internationaux dont il sera l'hôte à la fin du mois. Après, il prendra certainement une partie de l'été pour décider si le moment est propice pour convoquer les Canadiens aux urnes à l'automne. En octobre, il aura dirigé un deuxième gouvernement minoritaire pendant 24 mois. La durée de vie moyenne d'un gouvernement minoritaire est de 18 mois.