Le témoignage de l'ancien député conservateur Rahim Jaffer devant un comité parlementaire mercredi est en train de s'effondrer comme un château de cartes.

Déjà fustigé par les députés de l'opposition et ses anciens collègues conservateurs pour son comportement depuis sa défaite électorale de 2008, M. Jaffer a vu plusieurs pans de son témoignage être contredits moins de 24 heures après sa comparution. Entre autres choses, M. Jaffer a affirmé n'avoir jamais fait de lobbying auprès du gouvernement et n'avoir jamais prétendu auprès d'éventuels partenaires d'affaires être en mesure de leur obtenir des subventions du gouvernement fédéral en utilisant son réseau politique.

Or, l'homme d'affaires de Toronto Nazim Gillani, qui est au coeur des allégations concernant M. Jaffer, a soutenu hier, par la voix de son porte-parole, Brian Kilgore, qu'il était convaincu que l'ancien député pouvait l'aider à obtenir des fonds fédéraux.

MM. Gillani et Jaffer se sont rencontrés à plusieurs reprises l'an dernier afin de discuter d'une possible collaboration entre leurs entreprises respectives dans le secteur de l'énergie renouvelable. Après une de ces rencontres, M. Gillani a envoyé un courriel à d'autres partenaires dans lequel il affirmait que M. Jaffer pouvait ouvrir les portes du cabinet du premier ministre Stephen Harper.

Le porte-parole de M. Gillani a soutenu que ce dernier avait consulté les sites web personnel et d'affaires de M. Jaffer, et avoir acquis la conviction, à la lumière des informations qu'ils contenaient, que l'ex-député pouvait jouer un rôle déterminant dans l'obtention des fonds fédéraux.

M. Gillani, qui doit répondre à des accusations de fraude devant les tribunaux, a fait savoir hier qu'il est prêt à fournir tous les détails de la relation d'affaires qu'il a tissée avec M. Jaffer lorsqu'il témoignera devant un comité des Communes la semaine prochaine. Durant son témoignage, M. Jaffer, qui ne s'est jamais enregistré comme lobbyiste, a aussi affirmé n'avoir jamais tenté d'obtenir des subventions du gouvernement fédéral pour l'entreprise qu'il a fondée en compagnie de Patrick Glémaud, Green Power Generation Corp.

850 millions de demandes

Mais le quotidien torontois The Globe and Mail a rapporté hier que Green Power Generation Corp a soumis trois projets environnementaux totalisant 850 millions de dollars au gouvernement Harper l'an dernier.

Dans les trois cas, Green Power Generation agissait au nom d'une autre entreprise pour obtenir des subventions dans le cadre du Fonds vert d'un milliard de dollars mis sur pied par Ottawa et géré par le ministre des Transports, John Baird.

En somme, l'entreprise de MM. Jaffer et Glémaud jouait le rôle d'intermédiaire. Durant leur témoignage, mercredi, les deux hommes disaient ne plus se rappeler les noms des entreprises pour lesquelles ils avaient soumis des propositions «sommaires» au gouvernement.

Fait étonnant, le ministre Baird s'est empressé, mercredi, de remettre les détails des propositions en question aux membres du comité parlementaire après la comparution de M. Jaffer et de son associé. Depuis le début de la controverse, M. Baird a soutenu n'avoir jamais été pressenti par les deux hommes pour des fonds fédéraux pour divers projets.

Aux Communes, hier, le député libéral Bob Rae a affirmé que les démarches de Green Power Generation au nom de trois entreprises démontrent que MM. Jaffer et Glémaud agissaient comme des lobbyistes auprès du gouvernement Harper sans être enregistrés comme le stipule la loi. «Dans la vie, si un animal nage comme un canard, marche comme un canard, chante comme un canard, c'est que c'est probablement un canard.

Dans le cas qui nous préoccupe, cela ressemble à du lobbying», a dit M. Rae. Le premier ministre Stephen Harper, qui a tout fait jusqu'ici pour dissocier son gouvernement de cette controverse, allant même jusqu'à congédier la femme de M. Jaffer, Helena Guergis, de son poste de ministre d'État à la Condition féminine et à l'expulser du caucus conservateur après que des «allégations sérieuses et crédibles» eurent été portées à son attention il y a deux semaines, a affirmé que M. Jaffer devra rendre des comptes s'il a violé la loi.

M. Harper a aussi affirmé que Green Power Generation n'a jamais reçu de contrat ou de subvention du gouvernement fédéral. Pour le chef bloquiste Gilles Duceppe, le premier ministre joue sur les mots.

«Quand on nous dit qu'il n'y a pas eu de contrats, donc qu'il n'y a pas eu de lobbying. Voyons donc! (...) Le type qui entre dans une banque avec une mitraillette puis il dit: "Je n'ai pas eu le temps de voler, il n'y a pas eu de tentative de vol, pas de problème." Comme dirait l'autre, ça va bien. Voyons donc!» a dit M. Duceppe.

-Avec La Presse Canadienne