Le projet de loi sur le bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada pourrait représenter un test d'unité pour les conservateurs et leur nouvelle pluralité des voix au Sénat.

Le projet C-232, initiative du député néo-démocrate du Nouveau-Brunswick Yvon Godin, a commencé à être débattu à la Chambre haute hier, après avoir passé de peu la troisième lecture à la Chambre des communes, il y a quelques semaines.

 

Ce projet de loi dit «privé» vise à faire en sorte que les juges nommés à la Cour suprême soient capables de comprendre le français et l'anglais sans l'aide d'un interprète. Le gouvernement Harper s'y est toujours opposé, au motif que les magistrats du plus haut tribunal du pays devraient être choisis en fonction de leurs compétences légales et non linguistiques.

La composition de la Chambre haute laisse croire que plusieurs sénateurs conservateurs pourraient être tentés de l'appuyer. Aux côtés des 11 députés du caucus conservateur du Québec, en effet, siègent 11 sénateurs, la plupart francophones et nommés récemment par le premier ministre Stephen Harper. C'est sans parler des sénateurs issus de la francophonie hors Québec.

Or, depuis les dernières nominations de M. Harper il y a quelques mois, le Sénat est dominé par des sénateurs du Parti conservateur, au nombre de 51, comparativement à 48 libéraux, à deux progressistes-conservateurs, à deux indépendants et à une non-affiliée.

Pas de vote obligatoire

La libérale Claudette Tardif, qui, en l'absence de sénateurs néo-démocrates, parraine le projet de loi au Sénat et a prononcé un premier discours hier, estime qu'il s'agit d'un test pour la nouvelle mouture de la Chambre haute, et que certains sénateurs pourraient se retrouver dans une position difficile au moment de voter.

«Dans leur for intérieur, ils doivent se sentir déchirés. Pour les communautés francophones, certainement celle de l'Acadie, par exemple, tout renforcement de la dualité linguistique, toute action qui affirme le fait français dans leur communauté, c'est quelque chose qu'elles appuient et qu'elles veulent.»

Néanmoins, la leader du gouvernement au Sénat, la sénatrice Marjory LeBreton, a indiqué à La Presse qu'elle ne «prévoyait pas un vote selon la ligne de parti» sur le projet de loi C-232.

«Nous avons eu un caucus la semaine dernière et je leur ai simplement fait un compte rendu du fait que ce projet de loi avait passé la Chambre des communes et que notre caucus ne l'appuyait pas. Mais il n'y avait pas d'ordre venant d'en haut», a-t-elle ajouté.

La sénatrice LeBreton estime que ses collègues devraient «regarder l'argument sous l'angle de la représentation régionale de la Cour et non pas sous celui de la langue».

Iniquité régionale?

C'est l'un des arguments soulevés par deux sénateurs conservateurs du Québec joints par La Presse hier, Pierre-Hugues Boisvenu et Claude Carignan. Selon eux, certaines régions du pays et même du Québec seraient désavantagées par une interprétation trop stricte de la notion de «compréhension» des deux langues contenue dans la loi.

Mais «je ne veux pas avoir de position dogmatique là-dedans. Je veux me faire une bonne idée quand je vais avoir cette information-là», a cependant précisé M. Boisvenu.

Claude Carignan a dit espérer que le projet de loi se rende au comité sénatorial des affaires juridiques pour être étudié. Marjory LeBreton croit qu'il le sera, «probablement d'ici l'été», a-t-elle prédit.