Quand Dimitri Soudas part travailler, vers 6h, ses enfants dorment encore. À son retour, le jeune papa passe quelques heures avec Georgia et Théodore-Constantin, qui se couchent tard précisément pour voir leur père. Souvent, papa écoute les nouvelles avec sa plus vieille. À 2 ans, la petite Georgia est trop jeune pour saisir le sens du bulletin. Mais quand elle voit Stephen Harper, elle le reconnaît et prononce immanquablement son nom.

L'anecdote en dit long sur le lien quasi fusionnel qui unit le premier ministre du Canada et son nouveau directeur des communications. Le Québécois de 30 ans, dont la longévité dans l'équipe de communications du premier ministre est exceptionnelle, travaille aux côtés de Stephen Harper depuis huit ans. Depuis l'élection des conservateurs, Dimitri Soudas a vu passer quatre directeurs des communications au bureau de son patron. C'est finalement lui qui a hérité du poste.

Lorsque Dimitri Soudas a été embauché dans son équipe à titre d'adjoint pour le Québec, Stephen Harper était chef de l'Alliance canadienne. Le parti était à 5% dans les sondages et ne dépassait pas la marge d'erreur au Québec. «La pente à remonter était de 90%», résume un acteur de l'époque. Soudas, qui avait 22 ans, a survécu à la fusion de deux partis, à une course à la direction, et, depuis, à des campagnes électorales en série. «Il faut lui donner ça: il a ramé dans la gravelle pendant très longtemps», résume le collaborateur d'un ministre conservateur.

Cette loyauté indéfectible explique probablement pourquoi, malgré une spectaculaire série de bourdes, Dimitri Soudas est non seulement toujours en poste, mais a également été promu. «Il a plus de vies qu'un chat, poursuit cet apparatchik conservateur. Pour tout le monde, c'est clair: s'ils avaient été impliqués dans quelque chose comme ça, ils n'avaient pas de deuxième chance.»

«Quelque chose comme ça», ce sont les occasions où Soudas a gaffé, mettant son patron dans l'embarras. Tout le monde se rappelle son algarade avec l'écologiste Steven Guilbault au sommet de Copenhague. Il a publiquement accusé Guilbault d'être à la source d'un canular. C'était faux.

Quelques mois auparavant, il avait faussement attribué des propos à Michael Ignatieff. Stephen Harper, qui s'était délecté de la déclaration inexacte, avait été obligé de s'excuser. Au mois d'août 2009, raconte le blogueur Richard Cléroux, il avais commis une autre bourde diplomatique, pour annoncer une visite du premier ministre à «Iqualuit» dans le Grand Nord. Le nom est mal orthographié et, écrit de cette façon, signifie «ceux qui ont les fesses sales» en inuktitut.

À titre de responsable du Québec, il est loin d'avoir eu du succès, souligne un observateur de la politique fédérale. «Le Québec est la seule province où les conservateurs n'ont jamais réussi à percer. Ça fait longtemps qu'il aurait dû réorienter sa carrière.» Récemment, les conservateurs ont d'ailleurs fermé leur permanence à Montréal dans la plus grande discrétion. «Ça signifie une chose: l'échec de sa stratégie», dit un ancien candidat conservateur. «Sa proximité avec l'Action démocratique ne l'a pas aidé», croit Michael Fortier, ancien ministre conservateur. Soudas a cependant aidé Harper à mieux maîtriser le français, souligne-t-il. «Dès la campagne à la direction, j'ai suggéré qu'il l'accompagne partout. Pour améliorer son français.»

Chez les journalistes, Dimitri Soudas est presque universellement haï. Il faut dire que les conservateurs, à leur arrivée au pouvoir, ont changé les règles du jeu pour la presse parlementaire. Les journalistes ne sont plus informés de l'heure et du lieu des réunions du cabinet. Du coup, «il y a certains ministres qu'on ne voit plus jamais», souligne Hélène Buzzetti, du Devoir, présidente de la tribune de la presse à Ottawa. Et, surtout, l'équipe des communications de Harper a imposé dès le départ aux scribes une pratique qu'ils abhorrent. Pour poser une question en conférence de presse, occasion devenue rarissime, ils doivent s'inscrire sur une liste. C'est Dimitri Soudas qui choisit quel journaliste pourra poser sa question. Officiellement, personne n'est mis à l'index. Dans les faits, certains membres de la tribune n'ont pas eu de question depuis des années. «Le problème avec cette liste, c'est la possibilité que ça lui donne de faire du favoritisme», dit Hélène Buzzetti.

Le nouveau directeur des communications est décrit comme un être soupe au lait, rancunier, caustique, tant par les journalistes que par des acteurs du monde politique. «Mais pourquoi vous vous intéressez à lui?» s'exclame spontanément une personnalité associée aux conservateurs. «C'est un harceleur. Tu dis quelque chose qu'il n'aime pas, il ne te lâche plus. Il t'inonde de cochonneries», dit un journaliste.

Un matin de décembre 2008, Vincent Marissal, chroniqueur politique à La Presse, donne une entrevue à la radio dans laquelle il critique les conservateurs. Avant même la fin de l'entretien, Soudas lui envoie un courriel agressif sur son BlackBerry. «As-tu fini avec ton spin bloquiste?» Marissal lui répond qu'il va garder ce courriel, question d'illustrer la technique Soudas dans une future chronique. «Trente secondes plus tard, il m'a appelé. Il était dans son auto et il hurlait.»

Jean-René Dufort, l'Infoman de Radio-Canada, a lui aussi reçu de semblables courriels après avoir piégé Soudas sur Facebook en lui faisant accepter la demande d'amitié d'un homme recherché par la GRC. «Ce gars-là, c'est un trooper», résume-t-il.

Mais Dimitri Soudas n'a pas que des ennemis. En amitié, la loyauté est aussi sa marque de commerce. «C'est l'une des personnes les plus travaillantes, les plus intelligentes et les plus loyales avec qui j'ai travaillé dans ma vie», dit le sénateur Léo Housakos, que Soudas considère comme son mentor politique. Cette amitié a d'ailleurs causé quelques ennuis à Soudas: il a été soupçonné d'être intervenu en sa faveur dans une affaire immobilière. Il a cependant été blanchi par le commissaire à l'éthique.

C'est Leo Housakos qui a initié Dimitri Soudas à la chose politique. Il faut dire que le terreau était fertile: à 13 ans à peine, le jeune Dimitri posait déjà des pancartes pour... les libéraux. Il travaillait alors à temps partiel comme coursier pour le Supermarché Delta, situé en plein coeur de Parc-Extension, quartier où il est né. Hiver comme été, il sillonnait les rues du quartier à vélo pour contribuer au budget familial. À l'université, il a étudié en biochimie pour faire plaisir à sa mère d'origine grecque qui l'a élevé seule. Elle désirait plus que tout que son fils soit médecin. Mais c'est la politique qui le passionnait.

À 21 ans, il a succombé à l'appel et a suivi Housakos, qui s'est joint à l'équipe naissante d'Union Montréal, parti de Gérald Tremblay. Encore là, tout était à faire. «On partait de zéro», se rappelle le frère du maire, Marcel Tremblay. La mission confiée à Dimitri Soudas était ardue: il devait tenter une percée chez les communautés ethniques, qui formaient à l'époque un bloc derrière Pierre Bourque. Avec la ténacité qui le caractérise, celui que le frère du maire appelle «le jeune coq grec» a parlé pendant des mois, sur une base quotidienne, aux journalistes et aux patrons de tous les médias ethniques de Montréal.

Les résultats ont été au rendez-vous, dit Marcel Tremblay. Plusieurs brèches ont été créées dans la forteresse Bourque. «À la fin de la campagne, souligne-t-il, il était devenu incontournable.» L'art de se rendre incontournable: voilà qui pourrait être la devise du chat à neuf vies.