Le rôle des élus du gouvernement fédéral s'érodera davantage si Ottawa donne suite à sa suggestion de proroger le Parlement à chaque année, prédisent les experts.

Le président du Forum des politiques publiques à Ottawa, David Mitchell, va même jusqu'à dire que cette décision remettrait en question l'existence du Parlement.

Le premier ministre Stephen Harper, a suspendu, la semaine dernière, les activités du Parlement jusqu'au mois de mars, soit à la fin des Jeux olympiques de Vancouver. Son porte-parole a qualifié cette décision de «routine», soulignant que cela était arrivé 104 fois dans l'histoire du pays.

La décision a été immédiatement dénoncée par les partis de l'opposition, qui ont accusé les conservateurs de miner la démocratie et la transparence, particulièrement lorsqu'il est question du traitement des détenus afghans par les Forces militaires canadiennes.

Une rumeur persistante à Ottawa semble indiquer que les conservateurs pourraient proroger le Parlement à la fin de chaque nouvelle année. Le geste deviendrait ainsi routinier, permettant au gouvernement de recommencer à neuf avec un discours du Trône ainsi qu'avec l'annonce de son budget.

Les conservateurs plaident que cela fournira au public canadien une idée claire de ce que le gouvernement souhaite accomplir au cours de l'année à venir.

Mais le problème avec une telle décision est que cela met un terme aux activités parlementaires et dissout les comités. Les projets de lois sont également tués dans l'oeuf et le travail effectué par les députés élus à Ottawa est interrompu.

Par exemple, la décision de proroger le Parlement défait tout le travail abattu par les députés au cours de l'année sur la présentation de projets de loi sur le durcissement des peines pour les criminels.

Selon M. Mitchell, l'utilisation de la prorogation par le gouvernement démontre qu'il croit que le Parlement est devenu une «nuisance» à gérer plutôt qu'une partie prenante du processus démocratique. Il estime également que les Canadiens préoccupés par la démocratie devraient s'inquiéter de cette manoeuvre gouvernementale.

«Puisque la prorogation du Parlement est devenue quelque chose de fréquent, et cela, selon le gré et le bon vouloir du gouvernement en place, peu importe quel qu'il soit, cela soulève des questions au sujet de son utilité et de sa pertinence», a soutenu le président de l'organisme, ajoutant que cela était «troublant» pour quiconque qui s'en préoccupe.

La prorogation annuelle soulève également la question de son efficacité, croit M. Mitchell, puisque la législation doit recommencer à neuf au début de chaque session, ce qui ralentirait le processus.

Le politologue de l'Université de Toronto, Nelson Wiseman, croit quant à lui que la pertinence du Parlement a commencé à s'éroder il y a de cela plusieurs années, soit depuis le changement de la politique des dépenses électorales en 1974.

Cette «détérioration» s'est accélérée au cours de la dernière décennie, dit M. Wiseman. Par exemple, le gouvernement d'Ernie Eves, en Ontario, a décidé de présenter son budget de 2003 au siège social de fabricant de pièces automobiles, Magna International. Plus récemment, M. Harper a aussi présenté ses bilans économiques de plus en plus loin de la Chambre des communes, d'abord à Cambridge, en Ontario, puis à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick et finalement, en Chine.

Il y a plusieurs années, cela aurait suscité des critiques, croit M. Wiseman. L'on aurait par exemple dit que le gouvernement fait preuve de peu de respect face aux parlementaires. Mais cela n'est plus vrai aujourd'hui, soutient-il, et la décision démontre que le bureau du premier ministre a le gros bout du bâton dans la tension qui existe entre le gouvernement et les législateurs.

«Ils contrôlent le calendrier. Lorsque les choses vont mal, ils prorogent», a affirmé M. Wiseman, qui déplore également le fait que le public semble faire peu de cas de cette situation.