Alors que de nouvelles voix s'élèvent pour réclamer une commission d'enquête publique sur le transfert de prisonniers aux autorités afghanes par le Canada, un bras de fer s'engage entre le gouvernement et l'opposition quant au témoignage du diplomate David Mulroney, revenu d'urgence de Pékin.

Le Parti libéral, le NPD et le Bloc québécois ont tous réclamé mardi que le gouvernement rende d'abord public l'ensemble des documents qui touchent de près ou de loin le diplomate Richard Colvin, dont le témoignage explosif, la semaine dernière, continue de secouer le Parlement à Ottawa.«Si le gouvernement est si sûr qu'aucun détenu transféré par le Canada n'a été torturé dans les prisons afghanes, pourquoi n'accepte-t-il pas de fournir les documents qui prouveraient son point devant le comité parlementaire?» a demandé le chef libéral, Michael Ignatieff.

En comité spécial sur l'Afghanistan, mercredi dernier, M. Colvin a affirmé avoir envoyé 18 rapports aux autorités canadiennes, en 2006 et 2007, faisant état des risques que les prisonniers transférés par le Canada soient torturés. Ce sont ces documents que l'opposition souhaite maintenant voir, ainsi que la réponse apportée à l'époque par le ministère des Affaires étrangères.

Mais alors qu'il réagissait pour la première fois à la controverse, le premier ministre Stephen Harper, tout comme son ministre de la Défense nationale, Peter MacKay, n'avaient qu'une seule réponse mardi: laissez d'abord l'ancien #1 du Canada en Afghanistan, David Mulroney, témoigner devant le comité, demain, au cours d'une séance extraordinaire. M. Mulroney a pris d'urgence un vol pour Ottawa, à partir de la Chine, où il est maintenant ambassadeur du Canada à Pékin.

«Le gouvernement dispose de certains documents dont on ne dispose pas. On veut être sur un pied d'égalité, a dit pour sa part le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe. Qu'ont ait les mêmes documents que le gouvernement et puis on écoutera M. Mulroney. On veut avoir les documents avant qu'il comparaisse, afin de le confronter.»

Le député néo-démocrate Paul Dewar fera voter une motion aujourd'hui en comité pour que M. Mulroney ne comparaisse qu'après la divulgation des documents.

Les libéraux indiquent qu'ils seront néanmoins présents, demain, advenant que le gouvernement réussisse, en jouant de procédures parlementaires, à faire comparaître le diplomate en comité. Offrant lui-même de témoigner, dans une lettre rendue publique lundi, M. Mulroney a dit vouloir «remettre les pendules à l'heure».

«Si on n'est pas satisfait, on va le re-convoquer une fois qu'on aura tous les documents en mains», a souligné en fin de journée un porte-parole libéral, Jean-François Del Torchio.

Amnistie demande une enquête

Plus tôt dans la journée, Amnistie internationale Canada et l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique ont joint leurs voix à celles des partis de l'opposition à Ottawa pour réclamer une commission d'enquête publique sur le transfert de détenus afghans par les autorités canadiennes.

«C'est maintenant très clair que les procédures normales comme des questions dans la Chambre des communes, les enquêtes par des comités parlementaires et les processus devant les tribunaux ne sont pas capables de faire la lumière sur les questions graves et préoccupantes concernant la politique et la pratique canadienne en ce qui concerne les prisonniers en Afghanistan», a souligné en conférence de presse Alex Neve, secrétaire général d'Amnistie internationale Canada.

M. Neve accuse le gouvernement d'avoir fait de l'obstruction systématique dans le dossier et de chercher à dissimuler des informations. Il n'y a aucun doute dans son esprit que des prisonniers transférés par le Canada dans les prisons afghanes ont été torturés. Le seul moyen de connaître toute la vérité sur le rôle du gouvernement est selon lui de tenir cette enquête publique.

«Ce qui est en jeu, c'est la réputation du Canada en tant que pays qui condamne sans équivoque toute forme de torture», a dit M. Neve.

À la veille de la première visite officielle du premier ministre canadien en Chine, M. Harper aura, selon M. Neve, bien peu de crédibilité à soulever la question des droits humains avec les dirigeants chinois s'il n'accepte pas de tenir une commission d'enquête publique pour dissiper tous doutes quant à la complicité du Canada dans des actes de torture en Afghanistan.