La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) a refusé, hier, d'admettre un demandeur d'asile qui a plaidé que la présence d'un nouveau commissaire à la CISR, Pharès Pierre, posait un risque de persécution supplémentaire pour lui et ses proches restés en Haïti.

Le demandeur en question, dont l'identité n'a pas été révélée à La Presse pour des raisons de sécurité, entend interjeter appel de la décision en Cour fédérale, a indiqué son avocat, Stéphane Handfield.

 

Pharès Pierre a occupé les postes de chef de cabinet du premier ministre et du ministre de l'Intérieur d'Haïti durant les dernières années du gouvernement Aristide. La nomination de cet ancien militant du Parti progressiste-conservatreur au Québec au poste de commissaire à la section montréalaise de la CISR sème la controverse depuis qu'elle a été annoncée, en février dernier.

Des avocats en droit de l'immigration, dont Me Handfield, estiment en effet qu'elle mine l'apparence de justice à la commission. Encore aujourd'hui, la CISR est chargée de se prononcer sur des demandes d'asile faites par des Haïtiens qui disent fuir le régime de terreur imposé par les anciens fidèles de Jean-Bertrand Aristide.

La CISR a depuis tenté de calmer le jeu en affirmant que M. Pierre ne siégerait jamais dans des dossiers d'Haïtiens.

Nouvel argument

Mais il y a quatre mois, Me Handfield est revenu à la charge avec un autre argument, invoqué cette fois devant la commission et dans le dossier de l'un de ses clients. À titre de commissaire, a-t-il plaidé, Pharès Pierre a accès à toutes les informations personnelles de tous les demandeurs d'asile, grâce au système informatisé de la CISR. Or, cela poserait un problème à son client, qui dit craindre pour la sécurité de certains de ses proches restés en Haïti, si des informations étaient communiquées aux mauvaises personnes, volontairement ou non.

Dans une décision de six pages dans laquelle il n'a réservé que deux paragraphes à la question touchant son nouveau collègue, le commissaire qui a siégé dans ce dossier a rejeté l'argument, reprochant même à Me Handfield de l'avoir soulevé.

«Les propos tenus par le procureur du demandeur dans ses observations en regard d'un collègue qui a été nommé par le cabinet au cours des derniers mois étaient pour le moins déplacés», a écrit Michel Jobin.

«Le Code de conduite des commissaires de la CISR, a-t-il rappelé, mentionne que les commissaires ne peuvent révéler, divulguer, aucun renseignement de nature confidentielle obtenu dans l'exercice de leurs fonctions.»

Mais, selon Me Handfield, le commissaire a mal analysé le dossier. «À partir du moment où vous avez un individu qui occupe des fonctions importantes dans le gouvernement canadien - dans ce cas-ci, il siège à la Commission de l'immigration - est-ce que, compte tenu de son passé, le demandeur d'asile peut craindre que des informations le concernant soient transmises volontairement ou involontairement à ses persécuteurs? C'est ça, le test. C'est cela que l'on doit démontrer», a-t-il insisté.

Quant à la conclusion du commissaire voulant que l'on ne doive pas critiquer la nomination de Pharès Pierre parce qu'elle a été entérinée par «le cabinet», donc par le conseil des ministres, elle ne tient tout simplement pas la route, a tranché l'avocat.

«Le ministre de l'Immigration lui-même, lorsqu'il a été interrogé à la Chambre des communes sur cette nomination, a dit que s'il avait été au courant du passé de Pharès Pierre au sein du gouvernement Aristide, il ne l'aurait pas recommandé comme commissaire», a-t-il rappelé.

Interrogé par La Presse cette semaine, le ministre en question, Jason Kenney, a fait savoir par l'entremise de son directeur des communications, Alykhan Velshi, qu'il était toujours de cet avis. «M. Kenney demeure troublé par cette nomination et préoccupé par le fait que cet individu avec des liens avec le gouvernement Aristide lui ait été recommandé», a écrit M. Velshi dans un courriel envoyé à La Presse mardi.

Seul le conseil des ministres a le pouvoir de révoquer M. Pierre. Le directeur des communications de M. Kenney n'a pas pu expliquer pourquoi cela n'avait pas encore été fait.