Le gouvernement fédéral s'apprêterait à attribuer, de nouveau, un lucratif et controversé contrat à Royal LePage, malgré les irrégularités qui avaient entaché le même processus en 2004, a appris La Presse.

Le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux devrait annoncer prochainement l'attribution d'un contrat d'une valeur de près de 1 milliard de dollars en cinq ans, pour le relogement d'employés fédéraux, à la suite d'un appel d'offres lancé au printemps dernier. Entre 15 000 et 20 000 déménagements d'employés fédéraux ont lieu chaque année. Les contrats sont évalués à près de 200 millions par année.

 

Il n'y aurait eu, selon nos sources, qu'un seul soumissionnaire à l'appel d'offres: Royal LePage, la même société qui détient le contrat depuis 1999.

Or, depuis 2002, les enquêtes et les controverses se sont multipliées dans le dossier. Une enquête interne du Ministère et une décision d'un tribunal commercial canadien ont révélé que des fonctionnaires chargés du dossier s'étaient placés en apparence de conflits d'intérêts, acceptant des cadeaux, dont un voyage dans les Antilles et des parties de golf payées par Royal LePage.

L'entreprise avait toutefois remporté de nouveau l'appel d'offres en 2004. Deux ans plus tard, à l'automne 2006, la vérificatrice générale, Sheila Fraser, avait conclu dans son rapport annuel que le processus avait été entaché d'erreurs graves et d'irrégularités. Les conservateurs avaient alors promis de faire le ménage.

Pour mettre fin à la controverse, Ottawa avait donc refusé de prolonger le contrat, qui vient à échéance en novembre 2009, et préféré lancer un appel d'offres, en avril dernier.

Le problème, c'est que les entreprises qui auraient pu faire concurrence aux Services de relogement de Royal LePage dans l'appel d'offres sont furieuses et critiquent de nouveau le processus qui a mené à l'attribution du contrat.

«Le processus a été truqué pour favoriser Royal LePage», a estimé Christiane St-Jean, courtière en immobilier, et ex-présidente de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec. Le délai, selon elle, a été beaucoup trop court pour permettre à quiconque de soumissionner.

«Le gouvernement a lancé l'appel d'offres en 60 jours. Royal LePage, parce qu'elle avait déjà le contrat, était prête. Aucune autre société ne pouvait préparer une soumission comme ça en 60 jours. Il y a des gens qui vont devoir rendre des comptes», a dit Mme St-Jean. Elle accuse aussi les services de relogement d'avoir profité du lucratif contrat gouvernemental pour refiler les clients qui voulaient s'acheter un domicile dans une nouvelle ville aux courtiers immobiliers... de Royal LePage.

Pour Bruce Atyeo, président de la société ontarienne Envoy Relocation Services, l'ampleur des contrats de relogement rendait la situation impossible pour n'importe quelle entreprise qui aurait voulu faire compétition à Royal LePage.

«L'appel d'offres a été ouvert en avril et s'est terminé en juin. Le contrat est alloué en août. Il fallait être prêt à reprendre les dossiers pour le mois de septembre, a rétorqué M. Atyeo. C'est flagrant et ridicule. Ça prend de quatre à six mois et quelques millions pour préparer une telle soumission. Et n'importe quelle entreprise qui obtiendrait le contrat devrait engager de 80 à 100 nouveaux employés pour le remplir.»

L'entreprise Envoy Relocation Services avait soumissionné pour les contrats de relogement en 2004. À la lumière des conclusions de la vérificatrice générale, les dirigeants ont intenté une poursuite contre le gouvernement fédéral. La date du procès en Cour supérieure de l'Ontario devrait être décidée en septembre, a indiqué M. Atyeo.

Aux Services de relogement Royal LePage, rebaptisée depuis peu Services globaux de relogement Brookfield, on estime que le processus a suivi son cours normal. «Tous les soumissionnaires potentiels savaient que le contrat venait à échéance en novembre 2009 et que le gouvernement ferait un appel d'offres, a indiqué Aleya Chattopadhyay, de Services globaux de relogement Brookfield. Le processus a commencé il y a environ un an, avec la publication par le gouvernement d'une demande d'information. Tous les soumissionnaires potentiels pouvaient prendre connaissance de l'avis, poser des questions. Ils avaient le temps de se préparer.»

Mme Chattopadhyay réfute aussi l'allégation selon laquelle les courtiers immobiliers de Royal LePage profitent du contrat de relogement. «Nous utilisons l'agent immobilier demandé par le client. Nous travaillons avec différents agents de plusieurs entreprises, a-t-elle assuré.

Tant au ministère des Travaux publics qu'au bureau du ministre Christian Paradis, on a été incapable de répondre aux questions de La Presse. Le ministre Paradis se trouvait à l'extérieur du pays, hier.