En visite dans un commissariat de police d'Haïti, la gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean, a parlé pour la première fois en public, hier, des souvenirs sanglants de son enfance passée sous la dictature des Duvalier.

«Je ne peux pas m'empêcher de penser à la police que j'ai connue ici quand j'étais une petite fille. C'était des forces policières très différentes d'aujourd'hui. Une police répressive, très violente, très brutale, sans respect pour la nature humaine. Tu allais dans un poste de police et il y avait du sang partout sur les murs», a-t-elle raconté lors de l'inauguration d'un commissariat à Torbeck, dans la région des Cayes, à 138 km de la capitale, Port-au-Prince.

 

Mme Jean a poursuivi sur une note encore plus personnelle. «Je le sais, car mon père a été arrêté et torturé. Je le sais, car ma mère en a aussi souffert. Cette histoire n'est pas unique en Haïti. On s'en souvient», a-t-elle ajouté, émue. Née à Port-au-Prince, elle a immigré au Canada à l'âge de 11 ans pour fuir le régime dictatorial avec le reste de sa famille.

Même si la dictature est chose du passé, des épisodes violents continuent de secouer ce petit pays des Antilles. C'est ici, aux Cayes, que les émeutes de la faim ont débuté en avril dernier. Ces manifestations contre «la vi chè» (la vie chère) ont fait six morts et des centaines de blessés, en plus d'avoir la tête du premier ministre Jacques Édouard Alexis.

Durant ces émeutes, le commissariat des Cayes a été pillé et brûlé. Il est l'un des 14 postes de police dont le Canada finance le réaménagement au coût de 3,5 millions de dollars. «J'espère qu'on ne sera pas obligé, comme ça arrive trop souvent dans ce pays, de reconstruire ce qui a déjà été construit», a dit la nouvelle première ministre d'Haïti, Michèle Pierre-Louis, présente à l'inauguration.

De son côté, la gouverneure générale a fait un lien entre la violence et l'insécurité alimentaire, qui touche 3,3 millions d'Haïtiens sur une population de 8,6 millions de personnes. «Les ventres vides représentent un potentiel explosif pour toute société», a souligné la gouverneure générale après avoir visité, plus tôt dans la journée, un projet rizicole financé par le Canada.

Dans les rues des Cayes, de nombreux jeunes sans emploi sont prêts à manifester de nouveau si leur sort ne s'améliore pas rapidement. «On veut du travail, mais le gouvernement ne nous aide pas. Si la population ne mange pas à sa faim, on affichera encore nos couleurs dans les rues», a affirmé Lebien Laurenceau, un jeune homme qui a pris part aux manifestations l'an dernier.

Plaque tournante du trafic de cocaïne

Le sud d'Haïti est aussi considéré comme une plaque tournante du trafic de cocaïne en raison de la «faiblesse de ses institutions», a souligné pour sa part le chef de la police d'Haïti, Mario Andrésol, aussi présent à l'inauguration du commissariat de police. «Nous sommes à seulement 8h de bateau rapide de la Colombie et du Venezuela», a-t-il rappelé. Les Canadiens bénéficieront d'une police haïtienne mieux équipée pour combattre les trafiquants puisque cette drogue est destinée aux pays riches, a conclu le chef de police.

La réforme de la police nationale, appuyée par la Mission des Nations unies pour la stabilisation d'Haïti, prendra un certain temps si l'on se fie à de récents événements de corruption impliquant les forces de l'ordre. En octobre dernier, huit policiers, dont le commissaire adjoint de Port-de-Paix, ville située dans le nord du pays, ont été arrêtés. Lors d'une opération policière, ils avaient saisi 1,7 million de dollars dans la résidence d'un trafiquant de drogue. Le hic: ce trafiquant avait plutôt caché 30 millions de dollars chez lui. Les policiers et leurs complices ont mis le reste dans leurs poches sans le déclarer aux autorités.