Stephen Harper s'était abstenu de nommer des sénateurs pendant près de trois ans, à l'exception de deux petites nominations, dans l'espoir de réformer le Sénat à la pièce. Devant la vive opposition de certaines provinces, dont le Québec, et l'obstruction d'un Sénat majoritairement libéral à ses projets de réforme, le premier ministre a perdu patience. Mais surtout, Stephen Harper a préféré agir au cas où son gouvernement serait remplacé en 2009 par la coalition formée du Parti libéral et du NPD et soutenue par le Bloc québécois.

Noël est arrivé trois jours en avance pour 18 Canadiens. Ils ont été nommés au Sénat hier par le premier ministre Stephen Harper, un poste qui leur vaut un salaire annuel de 130 400$ indexé au taux d'inflation jusqu'à ce qu'ils atteignent 75 ans, âge obligatoire de la retraite des sénateurs.

Même si son gouvernement minoritaire conservateur a fait de la réforme de la Chambre haute une de ses priorités depuis son arrivée au pouvoir, Stephen Harper a été contraint de faire fi de ses engagements passés hier en nommant 18 sénateurs, dont quatre sont issus du Québec. Jamais auparavant un premier ministre n'avait nommé autant de sénateurs d'un seul coup.

En prenant le pouvoir, M. Harper s'était engagé à ne nommer au Sénat que des personnes élues à la faveur d'un scrutin dans la province comptant un siège vacant. En outre, M. Harper voulait limiter à huit ans le mandat des nouveaux sénateurs. Mais la vive opposition de certaines provinces, dont le Québec et l'Ontario, ainsi que l'obstruction du Sénat, majoritairement libéral, ont fait dérailler les ambitions du premier ministre. M. Harper a même déjà brandi la menace d'abolir le Sénat s'il ne pouvait le réformer. Mais cela prendrait le consentement unanime des provinces.

Les trois partis de l'opposition ont vivement critiqué cette vague de nominations à quelques jours de Noël alors que la survie du gouvernement Harper à la Chambre des communes est menacée. Le Parti libéral, le Bloc québécois et le NPD, qui ont tenté de renverser les conservateurs aux Communes avant que M. Harper leur coupe l'herbe sous le pied au début du mois en suspendant les travaux du Parlement, ont affirmé que le premier ministre viole sa propre promesse en nommant ces sénateurs. En outre, ils mettent en doute la légitimité de ces nominations dans la foulée de la récente crise parlementaire.

Mais M. Harper a soutenu qu'il avait le devoir de nommer de nouveaux sénateurs avant qu'une coalition formée du Parti libéral et du NPD, et soutenue par le Bloc québécois, tente de s'installer au pouvoir et comble les postes vacants.

«Notre gouvernement va continuer à promouvoir un Sénat plus démocratique, plus responsable et plus efficace. Cependant, si des sièges vacants doivent être comblés, ils devraient l'être par le gouvernement que les Canadiens ont élu, et non pas par une coalition pour laquelle personne n'a voté», a affirmé M. Harper dans un communiqué de presse.

Dumont dit non

Les nouveaux sénateurs se sont engagés à appuyer la limite des mandats de huit ans et d'autres mesures sur la réforme du Sénat. De plus, ils ont fait une profession de foi envers l'unité canadienne et signifié leur opposition à la coalition.

Au Québec, qui compte 24 des 105 sièges au Sénat, Stephen Harper a donc jeté son dévolu sur l'ancienne députée conservatrice de Louis-Hébert, Suzanne Fortin-Duplessis, le chef national du Congrès des peuples autochtones, Patrick Brazeau, et deux organisateurs conservateurs, soit Michel Rivard et Leo Housakos.

Selon des informations obtenues par La Presse, hier, M. Harper a tenté la semaine dernière de convaincre le chef démissionnaire de l'ADQ, Mario Dumont, de faire le saut en politique fédérale en acceptant d'abord de siéger au Sénat. Mais M. Dumont a refusé l'offre, préférant s'en tenir à sa décision d'entreprendre une nouvelle carrière dans le secteur privé.

M. Harper a par ailleurs causé une certaine surprise en nommant au Sénat le journaliste bien connu Mike Duffy, qui anime une émission quotidienne traitant de la politique canadienne au réseau CTV Newsnet, M. Duffy sera sénateur de l'Île-du-Prince-Édouard.

M. Duffy n'est pas le seul journaliste à faire son entrée à la Chambre haute. Pamela Wallin, qui a déjà été journaliste au réseau CTV et à CBC, a reçu l'invitation de siéger au Sénat. C'est la deuxième fois que Mme Wallin, qui a été consule du Canada à New York dans les années 90, accepte un mandat de M. Harper. L'an dernier, Mme Wallin a en effet fait partie du groupe d'experts indépendant sur l'avenir de la mission canadienne en Afghanistan. Mme Wallin représentera la Saskatchewan au Sénat. Elle s'est engagée à démissionner de son poste et de briguer les suffrages pour se faire élire au Sénat dès que le gouvernement de la Saskatchewan tiendra sa première élection sénatoriale prévue par sa nouvelle loi.

Autres surprises

Parmi les autres surprises, M. Harper a nommé l'ancienne championne olympique de ski alpin Nancy Greene Raine. Parmi ses faits d'armes, Mme Greene Raine a mis fin à la domination des Européennes en ski en remportant la médaille d'or aux Jeux olympiques de 1968. Elle a aussi été choisie athlète féminine canadienne du XXe siècle par La Presse Canadienne et Broadcast News. Elle représentera la Colombie-Britannique au Sénat.

Les autres personnes nommées sont l'ancien député conservateur Fabian Manning, défait au dernier scrutin (Terre-Neuve), l'avocat Fred Dickson (Nouvelle-Écosse), l'homme d'affaires Michael MacDonald, qui siège à l'exécutif national du Parti conservateur (Nouvelle-Écosse), Fred Dickson, ancien chef de cabinet de Preston Manning (Nouvelle-Écosse), Percy Mockler, député conservateur à l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, l'avocat à la retraite John Wallace (Nouveau-Brunswick), Nicole Eaton, vice-présidente du Ballet national du Canada (Ontario), Irving Gerstein, homme d'affaires et président du Fonds conservateur (Ontario), Yonah Martin, cofondatrice de la Corean Canadian Coactive Society et candidate conservatrice au dernier scrutin (Colombie-Britannique), Richard Neufeld, actuellement ministre de l'Énergie de la Colombie-Britannique, et Hector Daniel Lang, un ancien ministre à l'Assemblée législative du Yukon.

En trois ans, le premier ministre n'avait nommé que deux sénateurs. Le premier, Michael Fortier, avait accédé à la Chambre haute en février 2006 et avait également été nommé ministre des Travaux publics afin de représenter la région de Montréal au cabinet, les conservateurs n'ayant pas fait élire de député dans la métropole.

D'autres nominations en 2009

M. Fortier a toutefois démissionné de son poste avant les dernières élections afin de briguer les suffrages dans la circonscription de Vaudreuil-Soulanges. Mais il a mordu la poussière aux mains de la bloquiste Meili Faille.

L'an dernier, M. Harper a nommé l'Albertain Bert Brown au Sénat après que ce dernier eut été élu à l'occasion des élections provinciales en Alberta en 2004.

Malgré ces nominations, les conservateurs vont demeurer minoritaires au Sénat. Le Parti libéral détient 58 sièges et le Parti conservateur, 38. Il y a quatre sénateurs indépendants, trois progressistes-conservateurs, une indépendante néo-démocrate et une sénatrice sans affiliation.

L'an prochain, M. Harper devra combler 11 autres postes qui devraient devenir vacants à la suite de la retraite obligatoire de certains sénateurs.